Chroniques

par bertrand bolognesi

à la rencontre de Gilbert Amy
musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Radio France

Philippe Hattat, Anne Le Bozec et Quatuor Hermès
Studios 104 et 106 / Maison de Radio France, Paris
- 5 et 6 novembre 2016
Radio France rend hommage au compositeur Gilbert Amy pour ses 80 ans
© álvaro yañez

En 1976, après avoir dirigé durant sept saisons les concerts du Domaine musical à la suite de Pierre Boulez, Gilbert Amy, âgé de quarante ans, fondait le Nouvel Orchestre Philharmonique de Radio France dont il serait le chef. Dans le cadre de ses week-end thématiques*, commencés le 22 octobre par Y viva España!, Radio France ouvre ses portes à la rencontre de Gilbert Amy, portrait en une soirée symphonique et quatre rendez-vous chambristes.

Bien que n’assistant qu’à quatre des cinq concerts – il faut malheureusement sacrifier Cors et cris (2012) qui, pour clore l’événement, convoque l’electronic live –, le parcours est significatif, puisque les treize œuvres entendues couvrent une large période (de 1956 à 2015). Plutôt que de suivre l’ordre des interprétations, favorisons la chronologie des onze pièces de chambre ou en solo jouées samedi et dimanche. Amy a vingt ans lorsqu’il écrit Variations pour flûte, clarinette, violoncelle et piano, donné par Anne-Sophie Neves, Jean-Pascal Post, Jérémie Maillard et Philippe Hattat. La recherche d’une langue se fait alors dans l’héritage des Viennois, la syncope lorgnant vers Olivier Messiaen dont le Quatuor pour la fin du temps n’est pas loin. En 1958 arrive Mouvement pour quatuor à cordes, superbement donné par le jeune Quatuor Hermès [lire notre chronique du 8 juillet 2012]. La sonorité douce et prégnante d’Anthony Kondo au violoncelle ouvre une œuvre vérifiant la méthode dodécaphonique sans adopter la série, contrairement à la précédente. L’équilibre général des quartettistes est une bénédiction. L’auteur reviendrait au genre avec le Quatuor n°1 en 1992 – pour ProQuartet et les Parisii qui le créèrent puis l’enregistrèrent (MFA, 1996).

Si la programmation explore l’univers du compositeur dès ses premiers pas de la fin des années cinquante et jusqu’à notre aujourd’hui, il opère cependant un curieux bond en avant, puisqu’un gros quart de siècle sépare Mouvement et En trio, durant lequel fut écrite une vingtaine de pièces (sans compter celles qui requièrent l’orchestre). Nous le retrouvons donc en 1985 avec cette page pour clarinette, violon et piano dédiée à Boulez pour son soixantième anniversaire et dont la première fut confiée aux bons soinsdes solistes de l’Ensemble Intercontemporain. Deux sections : l’une tisse son harmonie dans un réseau de citations (Bartók, Berg et Boulez), l’autre joue sur de brèves combinatoires en duos articulées par de courts tutti énergiques. Outre de sa reprise au cœur des années quatre-vingt-dix – par Alain Damiens, Maryvonne Le Dizès et Pierre-Laurent Aimard (EIC) –, on se souvient de l’avoir entendue par Paul Meyer, Alessandro Moccia et Jean-François Heisser [lire notre chronique du 17 mars 2004] puis par les musiciens d’Accroche Note [lire notre chronique du 20 mars 2010] : c’est dire si les instrumentistes l’affectionnent. On la retrouve dans le souffle de Jérôme Voisin, l’archet de Virginie Buscail et sous les doigts de Philippe Hattat.

Entre la conception du premier et du deuxième mouvement d’En trio, Amy, de retour du Japon, écrivait 5/16 pour flûte et accompagnement d’une percussion en bois, cinq minutes destinées à un recueil pédagogique et dédiées à Tōru Takemitsu. Le titre est tout simplement l’indication métrique (mesure à cinq doubles-croches). La flûte de Mathilde Valderini chante luxueusement l’écriture rythmique en diable, sur la ponctuation concentrée, impérative, des claves (la pianiste Anne Le Bozec), inspirée des hyōshigi du théâtre traditionnel japonais. L’attrait de l’écoute vers un monde un peu fantasque conclue notre première chronique de ce portrait.

BB

* prochain week-end Radio France : Tous en piste !
Le cirque (Chaplin), La rose des vents (Kagel), Petrouchka (Stravinsky) et Parade (Satie), mais aussi Zirkustänze de Widmann et les musiques de foire du Moyen Âge
17 et 18 décembre 2016