Chroniques

À propos de Nice
film de Jean Vigo – musique de François Paris

Manca / Théâtre Francis Gag, Nice
- 5 novembre 2005
À propos de Nice, un film de Jean Vigo (1929) mis en musique par François Paris
© dr

Réalisé en 1929 par Jean Vigo, À propos de Nice oppose caustiquement sur la toile les petits métiers des pauvres à la grossière oisiveté des classes dominantes dont ils nourrissent eux-mêmes, à la sueur de leur front, l’incommensurable richesse. La musique de François Paris souligne adroitement le scandale, jetant un regard inquiet autant que grave sur l’humour d’un film drôle à plus d’un titre. Frappé par son montage, la notion de flux et de reflux, que l’on transcrit par la phrase musicale, mais également par la géométrie du film, le compositeur suit parfois le mouvement – les rotations baroques de la caméra sur les rotondités du Negresco, par exemple –, tentant ailleurs une nette distanciation.

Nous avons rencontré Luce Vigo, fille du cinéaste, qui découvrit les films de son père à l’âge de quatorze ans, avant de les faire découvrir à ses enfants, lors d’une rétrospective à Casablanca où elle vécut quelque temps. Plus tard, elle s’occuperait d’un ciné-club en banlieue parisienne, puis des séances cinéma de la MC93 à Bobigny, et interviendrait dans de nombreux stages, tables rondes, etc.

« C’est toujours un problème de savoir s’il faut ou non jouer de la musique sur la projection d’un film muet. Il y a longtemps, j’ai montré À propos de Nice à Henri Sauguet. Il hésitait, même s’il imaginait d’écrire pour lui des pièces de piano. « Le film a sa propre vie, son rythme, sa musique : je le laisserai muet, je crois », a-t-il fini par dire. À Bologne, j’ai pu assister à une autre expérience : un groupe d’étudiants a proposé une partition. Mais leur musique faisait barrage au film. En 2001, Marc Perrone créa une pièce pour accordéon diatonique pour le DVD de ce film. Il y eut d’autres tentatives et expériences, toutes contrastées et très personnelles. Pascal Comelade accompagne souvent la projection : le minimalisme de ses inspirations jazzysur instruments-jouets, qui vient d’une origine commune à Vigo, est assez idéal. J’aime encore montrer le film sans support, tout muet qu’il est, car les différentes musiques que je lui ai connues peuvent adoucir le heurt volontaire du montage. De toute façon, la musique apporte toujours une autre émotion au spectateur ».

Pour le Prix Vigo, le Secrétaire général a proposé à l’ensemble Sillages et à François Paris de réaliser ce projet sur À propos de Nice. « Pour se faire une idée », Luce Vigo est allée écouter une œuvre de Paris que Sillages donnait à Royaumont.

« L’univers de la musique contemporaine ne m’est pas familier. J’ai d’abord dit à François : « J’en veux pas, d’ta musique ! ». Mais je blaguais : sa musique m’a parlé tout de suite. Ça ne s’explique pas, c’est comme ça. Je vois son travail comme un dialogue avec les images, plutôt qu’une illustration sonore. La partition s’amuse de l’esprit pamphlétaire du film qui se moque d’une certaine bourgeoisie niçoise. Sans aller jamais jusqu’à la caricature, sa musique se fait parfois sarcastique ».

BB