Chroniques

par laurent bergnach

édition Pascal Dusapin du festival Présences
création de La nostalgie d’Arabella de Jean Barraqué

Isabelle Druet, Jean-Frédéric Neuburger, Ensemble Cairn, Guillaume Bourgogne
France Musique / Studio 104 – Maison de Radio France, Paris
- 3 février 2021
Guillaume Bourgogne dirige l'Ensemble Cairn dans Barraqué et Dusapin
© dr

Lorsque s’est achevé la trentième édition de Présences, l’an passé, qui aurait imaginé que la suivante se déroulerait en l’absence du public, du fait d’une crise politique qui s’éternise ? Heureusement, certains concerts sont diffusés en direct sur France Musique, ce qui permet un ersatz de rencontre entre musiciens et mélomanes. C’était le cas de la soirée d’ouverture – avec notamment la création de La vita sognata de Pascal Dusapin, compositeur à l’honneur cette année –, et ce l’est encore ce soir, avec une place particulière faite à Jean Barraqué (1928-1973).

Plus proche de Beethoven que de Chopin, celui dont l’œuvre « somptueusement austère, tend à une pure et peu actuelle sévérité » – ainsi que l’écrit Laurent Feneyrou dans le programme général du festival – aborde le roi des instruments sans frivolité : « le piano peut permettre l’expression d’une pensée dialectique fondamentale de l’écriture musicale, en dehors de toute recherche orchestrale », dit-il (ibid.). Sous les doigts de Jean-Frédéric Neuburger, on saisit les années charnières d’un jeune créateur. Ainsi la première pièce au programme, Retour (1948), avec son aura postromantique qui taquine le jazz et Satie, aurait-elle plus sa place dans l’atelier d’un élève de Boulanger que de Messiaen. Les trois pièces suivantes (1949) sont en rupture radicale avec la tonalité. L’on y sent un cousinage avec Jolivet, Ohana et Boulez (Deux morceaux pour piano), mais surtout l’influence de Webern (Pièce pour piano). L’aridité évoquée plus haut est à son paroxysme dans la conception rythmique de Thème et variations.

Wolfgang Rihm fut au programme d’une récente édition de Présences [lire nos chroniques des 12, 13, 14 (18h et 20h), 15 (20h et 22h30), 16 (18h et 20h) et 17 février 2019] Délégué à la création musicale à Radio France, Pierre Charvet insiste sur les liens qui unissent le natif de Karlsruhe à celui de Nancy – « […] même lyrisme, même refus des écoles, même production intarissable […] (ibid.) – au point que l’on peut parler de fraternité. C’est d’ailleurs pour les soixante ans de l’aîné que fut conçu Jetz genau! (2012). Pour Dusapin, ce concertino pour piano et six instruments est aussi l’occasion d’un hommage à Janáček, lequel n’avait pas peur d’un instrumentarium délaissant les cordes. Ici, le piano déroule une ambiance un rien fantomale du début à la fin (écho, résonnance, nudité), secoué par des interventions colorées, toniques et ludiques : déflagration de contrebasse, roulement de caisse claire, croassement de trombone, et surtout roucoulades d’une clarinette qui salue parfois l’art d’Europe centrale. Une fois de plus, Guillaume Bourgogne et l’Ensemble Cairn sont très investis dans leur mission.

Le 8 mars 1949, à 3h25, Jean Barraqué [lire notre chronique du 17 novembre 2017] achève une pièce imaginée à partir d’un texte de Maurice Beerblock, père d’un camarade de lycée. Il s’agit de La nostalgie d’Arabella, sorte d’oratorio pour voix, trompette, piano et trois percussions, aux accents de Stravinsky et Bartók. Habituée à servir les mots en petite formation, Isabelle Druet se révèle particulièrement en forme dans cette œuvre loufoque qui depuis soixante-dix ans attendait d’emplir l’espace.

Comme Varèse, Xenakis ou Scelsi, Pascal Dusapin admet une préoccupation pour l’efficacité acoustique. On peut s’en convaincre par certains aspects de Piano works, cycle aujourd’hui donné dans son entièreté – en prélude aux sept Études (2002), sous les doigts de Vanessa Wagner, samedi prochain. Jean-Frédéric Neuburger nuance avec art cinq pièces qui alternent, voire font cohabiter l’exubérant (carillon, épilepsie, galopade, etc.) et l’intime (profondeur aquatique, ambiance mystérieuse, etc.), dont leur auteur dit qu’elles sont « des reflets, des explorations, des catalyseurs et quelquefois même des débords d’autres pièces plus grandes ».

LB