Chroniques

par bertrand bolognesi

Émile Naoumoff et Dominique de Williencourt

Festival International de Colmar / Koïfhus
- 7 juillet 2003

À l’heure du déjeuner, c’est un programme romantique que donnent le violoncelliste Dominique de Williencourt et Émile Naoumoff au piano. Ils commençent cette heure de musique par l’Introduction et Polonaise brillante Op.3 écrite par Chopin en 1829 et 1830 pour la fille du Prince Radziwiłł. Avec un ut majeur satisfait et faussement naïf, la Polonaise est un modèle de plate musique salonarde des plus complaisantes. Cependant, l’Introduction que le compositeur lui ajouta plus tard, la destinant cette fois à un musicien professionnel, présente un intérêt plus sûr. Nous en goûtons une lecture charmante, sans chichis, qui ne sombre pas dans la mièvrerie induite par cette œuvrette. On doit principalement cette réussite au pianiste bulgare qui ciselle un son clair qu’on pourrait dire étonnement moderne, donnant un relief à peine souligné à chaque phrase, sans excès, et contrastant des nuances finement respirées. Le violoncelle s’avère moins satisfaisant, avec des aigus grêles, parfois fragiles.

Nous retrouvons la musique de Chopin en fin de programme, avec sa Sonate pour violoncelle et piano en sol mineur Op.65 grâce à laquelle l’on apprécie une certaine sécheresse délicieusement pudique du jeu d’Émile Naoumoff. Le pianiste se montre attentif à l’équilibre sonore, bien qu’il se soit par moment un peu trop emporté, notamment dans le Finale. Dominique de Williencourt possède des graves d’une belle densité, mais accuse un jeu nerveux et mal assuré. La hauteur des sons n’est pas toujours exact, et la pâte générale manque indéniablement de couleur.

Ces œuvres encadrent deux pages de Ferenc Liszt, l’Élégie tout d’abord, qui commence par des fragments interrompus de la phrase ici tragiquement dépouillée par l’interprétation de Dominique de Williencourt. Disons-le d’emblée : la musique de Liszt lui va nettement mieux. Les échanges avec le piano se révèlent d’une belle tendresse, sans grandiloquence excessive.

Enfin, la Lugubre Gondole, jouée aujourd’hui sans emphase, ménage une légère théâtralité soigneusement mesurée à l’introduction. Elle laisse arriver le thème dans un pianississimo d’une mystérieuse douceur. Sur les allers-retours chromatiques, le pianiste entretient le son dans une brume délicate, masquant subtilement ses attaques. Du coup, se font entendre des accords d’orgue, droits, quasi choral. De toute évidence, cette Gondole, que l’on vit sur la vague sépia d’un film au déroulé un brin saccadé d’antan, est le plus beau moment du concert.

BB