Chroniques

par bertrand bolognesi

Émilie
opéra de Kaija Saariaho

Opéra national de Lyon
- 7 mars 2010
© jp maurin

Après L’Amour de loin en 2000 [lire notre critique du DVD], Adriana Mater en 2006 [lire notre chronique du 10 avril 2006], puis La passion de Simone cette année, Kaija Saariaho présente aujourd’hui son nouvel opéra. Émilie, comme le précédent qui s’inspirait de la vie et de l’œuvre de la philosophe Simone Weil, se penche sur les derniers jours de la physicienne et mathématicienne Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet, communément appelée Émilie du Châtelet (née à Paris en 1706, morte à Lunéville en 1749).

En septembre 1749, celle que Voltaire, qui fut son amant, appelait la divine Émilie, attend un enfant du marquis lorrain Jean-François de Saint-Lambert et, dans le pressentiment d’une mort qui pourrait bien survenir avec la délivrance, s’interroge sur le monde, sur la vie, sur l’avenir de sa traduction du livre de Newton qu’elle voudrait pouvoir achever, sur son amour de la science comme sur son amour de l’amour.

Depuis longtemps, Saariaho souhaitait écrire un opéra pour une seule voix, celle du soprano finlandais Karita Mattila. Encore fallait-il trouver un sujet et, de préférence, un sujet qui ne montre pas une héroïne dans l’attente de son amoureux, comme c’est toujours le cas à l’opéra. C’est chose faite en lisant Émilie, Émilie, L'ambition féminine au XVIIIe siècle d’Elisabeth Badinter (Flammarion, 1983). Comme par le passé, elle confie l’écriture du livret au romancier Amin Maalouf.

Sous les grandes pattes de crustacée d’un fascinant planétarium, dans le figuralisme discret d’un clavecin, Karita Mattila happe l’écoute, servant magnifiquement une partition sensible dont l’orchestration opère sans contraste accusé, toujours en subtile profondeur. La texture est des plus raffinées, mariant savamment les instruments à un traitement électronique qui parfois donne à la voix un halo doublé. Si le dispositif scénique fascine immédiatement – décor de François Séguin et lumières de David Finn pour la mise en scène de François Girard –, la musique enveloppe, envahit, pénètre peu à peu. Ici, plus rien de verbeux ; le livret comme la partition tendent à l’épure, de sorte que l’on est bien tenté de considérer cette Émilie comme l’aboutissement de la collaboration Saariaho|Maalouf. Sous la direction infiniment soignée de Kazushi Ono, les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra national de Lyon font secrètement miroiter la fosse.

BB