Chroniques

par bertrand bolognesi

Весна священная | Le sacre du printemps
1913, Vaslav Nijinski – 2013, Sasha Waltz

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 30 mai 2013
Le sacre du printemps a cent ans !
© vincent pontet | wikispectacle

Trois soirs pour fêter le centenaire du Sacre du printemps, ainsi se lit l’affiche du Théâtre des Champs-Élysées où il fut créé le 29 mai 1913. Encore faut-il approfondir, partant que la plus élégante salle parisienne célèbre elle aussi ses cent ans, tout au long d’une saison forcément ponctuée par de nombreuses versions de concert de l’œuvre de Stravinsky, mais encore par la reprise du ballet de Pina Bausch (du 4 au 7 juin) et la découverte d’In the mind of Igor, vision que porte Akram Khan sur ce monument de l’histoire de la musique et de la danse (24, 25 et 26 juin).

Suppléant aux Ballets Russes, les danseurs du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg jouent deux fois de suite Le sacre du printemps ; c’est qu’avant la création fort attendue de la chorégraphie de Sasha Waltz est ici donnée celle de Vaslav Nijinski, la toute première, reconstituée par Millicent Hodson en 1987. Tout naturellement, l’orchestre maison s’y attèle, sous la direction de Valery Gergiev.

Le décor originel de Roerich marie un imaginaire d’abord ancré dans le folklore russe qu’il réinvente à un symbolisme surréalisant que dominent trois créatures anthropomorphes tenant plus ou moins de l’équidé (on croise là Chirico, Ernst et Böcklin). D’emblée la fraîcheur bruissante du ballet de Nijinski convainc et ravit dans son univers particulier. L’immobilité chargée de la jeune fille, a contrario de la bacchanale rituelle alentour, est ouverte par des gestes et des sauts anguleux, jusqu’à l’élévation finale du corps, dans un souffle indicible, saisissant.

Sur un plateau nu où danse dans la lumière une nuée dangereuse, les couples se forment, surgis d’une multitude fébrile. Une force supérieure semble dominer chaque geste, chaque effondrement, chaque élan de la vision de Sasha Waltz, une force qui échapperait aux protagonistes eux-mêmes qui s’y soumettent, par-delà quelques moments de résistance traduits par de brèves et brutales tétanies impuissantes. Aussi la « possession » est-elle omniprésente, comme le démontre assez le long point d’arrêt silencieux où les corps s’enchevêtrent en une éphémère paix, bondissant bientôt dans l’incroyable sauvagerie du final de la première partie. Dans la seconde, un danseur « contamine » le propos orchestral qu’il paraît dicter, tandis que deux enfants participeront peu à peu à l’agitation forcenée des grands où les fonctions se distinguent par le recours à des robes de cérémonie. Sans conteste, une initiation a lieu, sous une épée d’or effroyablement séduisante qui peu à peu descend des cintres. La sacrifiée s’écroule sous sa pointe.

Bon chef de ballet, Valery Gergiev tient ses troupes au cordeau, tout au service de la représentation. Encore profite-t-il des couleurs des bois. La première interprétation de la soirée accuse cependant des cuivres maladroits, à l’inverse de cordes efficaces. La tendance s’inverse pour la seconde, celles-ci se montrant fatiguées et imprécises tandis que ceux-là se reprennent avantageusement. Ces aléas n’entravent pas le flamboiement contrasté qui domine ce Sacre fondamentalement rituel, obscur, secret.

BB

à voir sur Arte Web Live, jusqu’en novembre prochain