Chroniques

par bruno serrou

Евгений Онегин | Eugène Onéguine
opéra de Piotr Tchaïkovski (version de concert)

Salle Pleyel, Paris
- 1er juin 2010
© nikolaï kuznetsov

Après ce qu’a donné à voir l’Opéra de Paris de La Walkyrie, ce lundi [lire notre chronique du 31 mai 2010], on se dit que, tout compte fait, les opéras en version concertante pourraient être la panacée. D’aucuns se souviennent en effet des soirées lyriques que le Théâtre du Châtelet, dans les années quatre-vingt, confiait notamment à l’Orchestre Philharmonique de Radio France sous la baguette de Marek Janowski, son directeur musical d’alors. Outre de mémorables Genoveva de Schumann et Daphne de Richard Strauss, on se rappellera plus particulièrement deux intégrales du Ring (Wagner) qui permirent à de nombreux mélomanes de pénétrer les arcanes de l’orchestration prodigieuse du magicien de Bayreuth, tandis que le chef allemand, qui avait pris la mesure des particularités acoustiques du lieu, faisait scintiller instrument tout en veillant à ne pas couvrir son cast, pourtant constitué d’excellents chanteurs, comme si les quatre-vingt-dix musiciens étaient non pas sur le plateau d’une salle de concert mais dans une fosse de théâtre. Ce même théâtre, avec d’autres forces symphoniques, avait présenté des opéras méconnus de Massenet, Rossini, Rimski-Korsakov, Borodine, etc.

Ce mardi soir, à l’attention du seul public parisien, l’Orchestre national du Capitole de Toulouse et le Chœur du Théâtre du Capitole, renforcé de chanteurs espagnols du Coro Easo, proposent, dans les mêmes conditions, le chef-d’œuvre de Tchaïkovski [portrait par Nikolaï Kuznetsov], Eugène Onéguine. La formation du Midi-Pyrénées semble chanter dans son jardin, dirigée avec flamme par son jeune directeur Tugan Sokhiev. À trente-trois ans, le chef originaire d’Ossétie du Nord est très demandé dans le monde, invité par les plus grandes phalanges internationales. Un an avant la fin (ou, espère-t-on, le renouvellement) de son mandat, il confirme ses évidentes qualités en maîtrisant un orchestre rutilant et aérien qui le suit dans la moindre de ses intentions avec une énergie et un lyrisme à fleur de peau, tout en évitant tout pathos.

De cet Eugène Onéguine vigoureux, coloré et concentré, à l’exception du bal qui ouvre le troisième acte, trop pesant et heurté, il émane une tension dramatique confinant à une représentation scénique, grâce à la seule force de la musique. La distribution réunie sous la houlette de Larissa Gergieva, sœur de Valery Gergiev, directrice de l'académie de chant du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg (présente à Pleyel, pour cette unique exécution), frise l’idéal. Les deux rôles principaux ont été confiés au duo qui s’est imposé il y a quelques semaines à Toulouse dans Iolanta du même Tchaïkovski [lire notre chronique du 28 mars 2010], Gelegena Gaskarova et Garry Magee. Le soprano campe une magnifique Tatiana, et sa présence rayonnante, la grâce infinie de sa ligne de chant, le vif argent de son timbre transcendent certaines duretés de l’aigu et des fortissimos légèrement décolorés. Le baryton britannique, après un premier acte en demi-teinte, impose un Onéguine ardent mais un peu court de souffle dans ses effusions passionnelles.

Autre chanteur impressionnant, la basse géorgienne Mikhaïl Kolelishvili qui livre un Grémine de noble stature, tandis que le ténor russe Daniil Shtoda est égal à lui-même dans le personnage de Lenski qu’il chante partout dans le monde depuis une dizaine d’années (lire notre chronique du 28 janvier 2003, par exemple]. Anna Kiknadze est une généreuse nourrice, Makvala Karashvili, Elena Sommer et François Piolino (qui ne peut faire oublier le Triquet de Michel Sénéchal) complètent admirablement l’ensemble, tandis que les chœurs se révèlent impressionnants de volume et d’homogénéité.

BS