Chroniques

par emmanuel andrieu

Иоланта | Iolanta
opéra de Piotr Tchaïkovski

Halle aux grains (saison hors les murs du Théâtre du Capitole), Toulouse
- 28 mars 2010
© pierre grosbois

Ultime ouvrage lyrique de Tchaïkovski, Iolanta fut créé au Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg en décembre 1892, le même soir que son célébrissime ballet Casse Noisette. Iolanta fait office de rareté car, mises à part deux exécutions en version de concert, une ici même il y a trois ans [lire notre chronique du 11 mai 2007] et l'autre au Théâtre du châtelet [lire notre chronique du 30 mars 2003], l'œuvre n'avait jamais était montée scéniquement en France. Le livret, écrit par le frère du compositeur, s’inspire d'une pièce du dramaturge danois Henrik Hertz, La fille du roi René (1853). Il conte l'histoire, dans la Provence du XVe siècle, de la belle Iolanta, née aveugle, élevée à l’abri du monde en lui cachant la vérité sur son état ainsi que la réalité qui l'entoure. In fine, elle finira par recouvrer la vue grâce à l'amour d'un preux chevalier, prêt à l'épouser malgré son handicap. L'opéra en un acte est une œuvre courte (une heure trente) où se succèdent neuf scènes fort inspirées quant à la veine mélodique, à défaut de l'être dramatiquement. Ainsi les principaux protagonistes ont-ils tous un grand air à chanter et des ensembles particulièrement soignés et raffinés émaillent-ils la partition.

Comme en 2007, c'est le jeune chef ossète Tugan Sokhiev qui tient la baguette. C'est un bonheur de le voir diriger la phalange toulousaine, tant est manifeste son plaisir à faire (re)vivre l’ouvrage. La gestique se fait tour à tour délicate dans les moments d'abandon (comme dans la berceuse) ou pleine de fougue (dans le majestueux crescendo qui clôt l’opéra). Attentif à tout moment aux chanteurs – et chantant lui-même avec les solistes et les chœurs ! –, c'est surtout l'orchestre qui bénéficie de sa direction précise, pleine de raffinement et de lyrisme. Il est aussi à mettre au crédit de Sokhiev d'avoir su engager une distribution homogène, presque entièrement russe et recrutée dans la troupe du Mariinski. On pourra noter que l'équipe ici réunie était déjà présente, pour les principaux rôles, dans la version de concert d'Eugène Onéguine donné la saison passée.

Ainsi la basse Mikhaïl Kolelishvili (Grémine l'an dernier) incarne avec beaucoup de noblesse et d'humanité le rôle du roi René. Sa voix est celle d'une basse profonde à la ligne impeccable et pleine d'autorité. Gary Magee (Onéguine l'an dernier) est un Comte de Bourgogne superbement stylé et élégant. Son grand air démontre un art du chant subtil et nuancé. Le Médecin maure est bien incarné par Evgueni Alexeev car, si le chanteur possède des moyens, c'est surtout sa présence scénique qui retient l'attention – ainsi que son superbe costume orientalisant. Le ténor Akhmed Agadi (Gaudefroy de Vaudémont) est la seule déception masculine avec un timbre peu flatteur, une émission tour à tour laborieuse ou brutale, une présence trop pâle pour un chevalier. Les rôles secondaires sont bien tenus, notamment par l'excellent Vassili Efimov en écuyer, artiste au timbre clair et aux aigus claironnants.

Du côté féminin, on retiendra le contralto d'Anna Kiknadze (naguère Olga) dans le rôle de la nourrice Martha. La voix est tout simplement superbe de timbre et de couleur ! Les deux Suivantes trouvent en Eleonora Vindau et Anna Markarova de belles interprètes, parfaitement équilibrées dans leurs duos. Dans le rôle-titre, Gelena Gaskarova (rayonnante Tatiana l'an passé) possède une plastique de rêve et un timbre particulièrement riche. La voix est suffisamment projetée pour ressortir dans le grandiose finale, mais l'on déplorera des suraigus un rien acides et stridents. Elle n'en incarne pas moins une Iolanta émouvante.

Vraiment trop discrète, la production de Jacques Osinski est l’ombre au tableau de ce spectacle, un joli décor ne faisant pas office de mise en scène. Ce dernier, signé par Christophe Ouvrard, est constitué par une serre qui enferme des tables métalliques couvertes de rosiers en pots. L'image est belle, d'autant magnifiée par les éclairages élégants de Catherine Verheyde, ainsi que les costumes, eux aussi signés Ouvrard. Au final, la découverte d'une partition foisonnante, véritable bijou du répertoire russe, mériterait de connaître les honneurs d'une autre production sur nos scènes.

EA