Chroniques

par gilles charlassier

Моцарт и Сальери | Mozart et Salieri – Иоланта | Iolanta
opéras de Nikolaï Rimski-Korsakov et de Piotr Tchaïkovski

Opéra de Tours
- 27 mai 2018
Iolanta de Tchaïkovski à l'Opéra de Tours, mis en scène par Dieter Kaegi
© marie pétry

L'Opéra de Tours referme sa saison avec un doublé d'œuvres jusqu'alors jamais présentes dans la cité ligérienne et relativement discrètes au répertoire. Leur durée les prédestine généralement au couplage pour tenir les standards consacrés de la soirée lyrique. L'association du Mozart et Salieri de Rimski-Korsakov et d’Iolanta de Tchaïkovski ne relève pas de la simple affinité russe : sous des formats différents, les deux pièces se donnent comme un huis clos, ce que, dans une coproduction avec Soleure, Dieter Kaegi a très bien compris, sans avoir besoin de forcer artificiellement la convergence des scénographies, dues à Francis O'Connor.

En première partie, la confrontation des compositeurs imaginée par Pouchkine se déroule autour d'un piano noir, dans l'embrasure du rideau de scène. La logique dramatique d'antichambre répond à la topologie de la pièce, et offre, avec la complicité des lumières réglées par Mario Bösemann, une focale psychologique et intime qui dépasse la question de la vraisemblance historique dont la source littéraire s'affranchit sans grands scrupules. Le demi-queue assume une fonction centrale, tour à tour terrain de rivalité musicale, messager de l'exigence morale de l'art que le génie insouciant de Mozart prendrait à la légère, table dînatoire et grabat mortuaire. La caractérisation des deux personnages accentue, presque jusqu'à la caricature, la componction jalouse de Salieri et l'inconséquence juvénile de l'enfant de Salzbourg. Au delà du relatif artifice de cette polarisation, la qualité vocale résume le mieux les incarnations, entre la densité de Micha Schelomianski, Salieri solide au legato généreux, et l'impulsivité lyrique du Mozart campé par Irakli Murjikneli, qui finit par être touchant après une entrée passablement cabotine.

Après l'entracte, Iolanta se déroule dans une serre chaude où la princesse est confinée, à l'abri du froid réel, comme les fragiles fleurs qui l'entourent. L'atmosphère conservatoire de la véranda restitue assez justement les grandes lignes herméneutiques du conte qui n'aurait guère besoin d'effets de contemporanéité dans l'intervention médicale, laquelle se croit obligée de montrer des radiographies pour transcrire la magie symbolique du docteur arabe. L'insupportable souffrance causée par l'aveuglement de la lumière contraint l'héroïne à se crever les yeux avec la tige d'une rose – c'est l'ultime image du spectacle, que l'on peut résister à croire. Si elle use habilement de la sémiologie du livret – la rose sera le révélateur de la cécité de la jeune fille lors de sa rencontre avec Vaudémont –, cette entorse à la lettre, pour dévoiler la conclusion véritable que la convention de la fin heureuse occulterait, cède sans doute trop à la séduction d'un réalisme dont la parabole se passerait volontiers.

On retrouve les deux protagonistes de l'opus de Nikolaï Rimski-Korsakov.
L'ampleur naturelle de Micha Schelomianski sied instinctivement à l'autorité paternelle du Roi René, dont il détaille les linéaments avec une belle sensibilité, participant autant de l'aura que de la vulnérabilité du souverain [lire nos chroniques du 7 mai 2013 et du 11 janvier 2011]. Irakli Murjikneli affirme l'aplomb amoureux de Vaudémont. Dans le rôle-titre, Anna Gorbachyova-Ogilvie condense le frémissement affectif avec un timbre nourri et idiomatique. Un peu à découvert, Javid Samadov ne manque point de la stature attendue en Robert, quand l'élégance un peu claire d'Aram Ohanian frustre de la profondeur du savoir d'Ibn-Hakia. Yumiko Tanimura (Brigitta), Majdouline Zerari (Laura) et Delphine Haidan (Marta) entourent efficacement Iolanta. Mentionnons encore les interventions de Raphaël Jardin (Alméric) et Sergueï Afonin (Bertrand) qui ne déméritent aucunement, comme le Chœur de l’Opéra de Tours, préparé par Alexandre Herviant.

Dans la fosse, Vladislav Karklin fait ressortir le raffinement du pastiche de Rimski-Korsakov, avant de mettre en valeur avec intelligence les bois dans Tchaïkovski, éclairant leur fonction expressive essentielle. Le chef russe tire ainsi habilement parti des contraintes d'effectifs de l'Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire Tours et des dimensions de la salle, pour souligner l'originalité de la partition.

GC