Chroniques

par bertrand bolognesi

Akademie für Alte Musik Berlin, RIAS Kammerchor, René Jacobs
Passio Domini nostri J.C. secundum Evangelistam Johannem BWV 245

Philharmonie, Paris
- 4 avril 2015
conservé au musée de Leipzig, le Christ aux épines d'Andrea Solario (1503)
© b. bolognesi, leipzig, 2013 | andrea solario – christ aux épines, 1503

Hier s’ouvrait le week-end Bach proposé par la Philharmonie de Paris : avec ses English Baroque Soloists et Monteverdi Choir [lire notre récente critique DVD], John Eliot Gardiner donnait la Messe en si BWV 232 – concert diffusé en direct et disponible en replay sur le site de l’institution (jusqu’au 3 octobre). Bach pendant la semaine sainte, voilà qui fonctionne toujours : le même soir, après la Matthäus Passion de Mark Padmore à la tête des Choir and Orchestra of The Age of Enlightenment [lire notre chronique du 1er avril 2014], Philippe Herreweghe s’attelait au Théâtre des Champs-Élysées, avec l’orchestre éponyme et le Collegium Vocale Gent, à la Johannes Passion. Avant-hier, c’est également cette BWV 245 que Daniele Gatti prévoyait de diriger à l’Auditorium de Radio France... n’était la triste situation que l’on sait.

Un peu plus de deux mois et demi après son inauguration, nous abordons ce soir la nouvelle rive musicale parisienne, à l’occasion de ce cycle dédié à l’illustre Cantor – le mélomane y retrouve le claviériste Andreas Staier, Pygmalon et Raphaël Pichon, etc. Passés l’exigüité des escalators d’accès – disposant d’un tel espace, on se demande comment Jean Nouvel ne conçut-il pas plus généreux dégagements – et leur involontaire petite chanson, on découvre un hall surpeuplé à la lumière blafarde, caractéristiques ajoutant au sentiment qu’il manquerait de la place. Montons et retrouvons la grande salle vue en décembre dernier [lire notre dossier], désormais dans sa vêture définitive.

Aucun doute quant au confort qu’elle offre au public : cette exécution de la Johannes Passion enchaînant sans entracte les deux parties, force est de constater la forme idéale des fauteuils, le moelleux des dossiers et le contact délicat d’accoudoirs flatteurs, autant d’atouts qui répondent aux courbes gracieuses tout alentour. Un petit regret à propos des équipements, facilement réparable dans un avenir proche : si l’écran de surtitrage, situé à gauche de l’orgue, fait son usage pour une grande partie des spectateurs, ceux qui investissent l’arrière-scène n’y ont malheureusement pas droit. Qu’en est-il de l’acoustique ? À la fin du concert – il faut préciser le vivre du balcon frontal –, on lui aura globalement trouvé un fondu assez vertueux, pour ainsi dire, qui floute d’une mince réverbération la définition générale. Jamais sèche ni mate, la sonorité porte avantageusement l’émission vocale : aux chanteurs de miser plutôt sur l’impact que sur une projection trop soutenue, le moindre forçage se révélant d’emblée rédhibitoire. Il s’agit là d’une première approche, rappelons-le (dans le contexte précis d’un instrumentarium baroque et d’un certain placement dans la salle), qui ne saurait prétendre à dresser bilan plus autorisé – à suivre, donc…

La deuxième soirée du cycle Bach accueille les Berlinois RIAS Kammerchor et Akademie für Alte Musik. René Jacobs ouvre la Johannes Passion dans un mouvement d’abord retenu, concentré, qui magnifie d’autant mieux l’élan accordé à l’entrée du premier chœur. Herr, unser Herrscher déploie sa tourmente, l’orchestre reprenant l’exposition aux confins du silence. D’emblée saluons l’exécution chorale, exemplaire, évidente même, tant dans les tendres Wer hat dich so geschlagen, In meines Herzens Grunde ou Petrus, der nicht denkt zurück si calmement investi, que dans les interventions clairement théâtrales. En revanche, nous ne retrouvons pas complètement les couleurs spécifiques de la prestigieuse Akamus dont l’expression paraît moins incisive que de coutume. Est-ce un effet de l’acoustique qui en gommerait le caractère ? Nous ne saurions l’affirmer, mais toujours est-il que l’interprétation instrumentale semble relativement terne.

René Jacobs s’associe des voix diversement satisfaisantes. D’abord un rien trop raide (Ich folge dir), le soprano coréen Sunhae Im libère un chant plus présent dans Zerfliesse, mein Herze. Irréprochable quant à l’intonation et à la fermeté du timbre, le ténor Sebastian Kohlhepp déroge au format d’usage ; son Évangéliste manque de souplesse, accuse une véhémence scénique qui fragmente le phrasé au profit d’effets assez gênants. On espère entendre cet artiste dans le répertoire plus lourd qui lui convient sans doute mieux. Le baryton-basse norvégien Johannes Weisser (le Don Giovanni de Jacobs) nous vaut de grands moments, notamment le tragique Eilt, ihr angefochtnen Seelen qui jamais ne fronce sottement le sourcil ; son Jésus s’éteint sur la douloureuse douceur d’un « tout est accompli » qui introduit comme aucun le fameux air d’alto [lire notre chronique du 31 août 2012]. On remarque positivement deux jeunes voix de fort belle nature : le ténor Martin Lattke, avantageusement souple et expressif, avec son Erwäge, wie sein blutgefärbter Rücken si dolent, et l’excellent contre-ténor bavarois Benno Schachtner dont l’art infiniment nuancé et le timbre enveloppant servent un Es ist vollbracht! bouleversant.

BB