Chroniques

par bertrand bolognesi

Andrea Chénier | André Chénier
dramma di ambiente storico d’Umberto Giordano

Opéra-Théâtre de Limoges
- 14 mars 2008
Andrea Chénier, le célèbre opéra d’Umberto Giordano, à Limoges
© ville de limoges

C’est à une reprise heureuse que le public limousin assiste : celle de la production liégeoise signée Claire Servais. Ayant fait le choix d’un dispositif d’une sobriété toute au service de la tension dramatique, cette mise en scène parle avant tout de destins, de femmes et d’hommes, qu’ils forment la sourde aristocratie ou le peuple en colère, et s’ingénie à les rendre vivants plutôt que de s’embarrasser d’oripeaux référentiels. L’Histoire est bien présente, qu’on ne s’y méprenne pas, de même qu’une vraie réflexion sur la Révolution, mais le plus important demeure la façon dont les personnages ont à la vivre sur scène. Ainsi, par-delà la plume qui grave d’ultimes vers sur une page qu’envahit bientôt le sang du poète, chaque détail dramaturgique y est soigneusement traité, avec une justesse infaillible, intégrant une direction d’acteurs éclairée.

La relative austérité du décor de Dominique Pichou, avec son escalier à tout faire et son arche diversement utilisée – tour à tour porche d’hôtel particulier, soupirail ou fenêtre vers la liberté, peut-être métaphore de l’hémicycle de ce tribunal révolutionnaire dont la tribune de bois rouge-sang-sec siège au troisième acte, telle une arène –, recourt à quelques éléments percutants, comme cette charrette de corps livides et étêtés qui le traverse le plus naturellement qui soit à l’Acte II ou, plus poétique, une brume bleutée de l’aube fatale vers laquelle les amants s’avancent main dans la main. Les costumes de Christian Gasc ne réservent aucune mauvaise surprise, suivant pas à pas la littéralité du livret. Le spectacle est magnifié par la lumière d’Olivier Wéry qui, par des nuances soufrées et sanguines que transmet une lourde fumée de mort, évoque ces temps de révolte, de vengeance, de trahison, de jugements sommaires et d’exécutions quotidiennes.

Belle réussite, également, que la distribution réunie à Limoges. Solide Fouquier-Tinville de Jean-Marie Delpas, Majordome irréprochable de la basse Grigori Smoliy, projection flatteuse de Paul Médioni dans les rôles de Fléville et Roucher, claironnant Dominique Rossignol en cynique Incroyable aspergeant les guillotines d’un champagne narquois, et timbre chaleureux de Liliana Mattei pour une Bersi complice et attachante. Malgré un chant adroitement mené, Marie-José Dolorian laisse encourir à ses Comtesse et Madelon une diction parfois hasardeuse. En petite forme, Ignacio Encinas libère cependant un aigu vaillant dans le rôle-titre, mais il est à supposer qu’un refroidissement soit à l’origine de l’enrouement continu qu’il ne parviendra pas à surmonter ce soir – on lui sait gré d’avoir assuré sa prestation. Du coup, le couple de la soirée réunit le traitre repenti et l’amoureuse sacrifiée. Theresa Waldner donne une Madeleine somptueusement définie dans l’aigu, richement colorée dans le grave, d’une émission opulente bénéficiant d’une pâte onctueuse qu’un fin travail de nuances vient d’autant révéler. Quant au charismatique Gérard de Carlos Almaguer, la robustesse de la projection, la virilité du grain et un engagement scénique absolu dans la jalousie puis le dévouement en font une incarnation de sang et de feu, terrible et fascinante.

Jacques Maresch a minutieusement préparé le Chœur maison, prudent dans les premières interventions, toujours vaillant et impeccable par la suite. À la tête de l’Orchestre de l’Opéra-Théâtre de Limoges, dont les cordes semblent encore avoir quelques progrès à affirmer, Guy Condette soutient les voix d’une lecture sensuelle, moelleuse, abusant à peine du rubato. Remarquablement nuancée, son interprétation réinvente le sacrifice de Madelon et ménage un relief attentivement équilibré à la fosse.

BB