Chroniques

par gilles charlassier

Anton Arenski, Benjamin Attahir, Béla Bartók et György Ligeti
par Francesco De Angelis, Adrien et Guillaume Bellom, Guillaume Chilemme,

Nathanaël Gouin, Bruno Maurice et Gregorio Robino
Académie Festival des Arcs / Centre Taillefer, Arc 1800
- 24 juillet 2019
Benjamin Attahir,compositeur en résidence à l'Académie Festival des Arcs 2019
© julian hargreaves

La canicule invite à l’échappatoire : la plage ou la montagne, quand la campagne brûle sous un soleil crématoire. La programmation festivalière de l’été fait parfois bien les choses, quand les hauteurs alpines regorgent de propositions musicales. L’inconvénient vient de ce qu’il faut composer avec les aléas d’un réseau ferroviaire contraint par la géographie, et que les conditions climatiques n’arrangent guère – la compagnie française avait d’ailleurs sollicité les voyageurs pour qu’ils reportent leur voyage. Ainsi l’agenda de notre reportage aux Arcs s’en est trouvé un peu raboté. Les imprévus ne sont d’ailleurs pas l’apanage des prévisions horaires, en ce que le concert de mardi 23, dont aiguillages et locomotives nous ont privés, a également vu, comme d’autres rendez-vous, son programme modifié, au gré des disponibilités et des arrivées des interprètes.

Dans une station célébrant son cinquantième anniversaire, la quarante-sixième édition du festival ne déroge pas à l’habitude prise de mettre à l’honneur un compositeur. Ainsi promeut-il la création, avec le soutien de la Sacem et de Musique Nouvelle en Liberté, ceci sans céder aux clivages esthétiques. Par un panorama représentatif du catalogue d’un musicien, dans les limites d’effectif de la diversité du répertoire chambriste (au sens large), cette résidence invite à une immersion, pour le public comme pour les étudiants de l’Académie, dans un élan pédagogique où se rejoignent les efforts d’interprétation et de diffusion. Pour ce cru 2019, c’est Benjamin Attahir [photo] qui se fait l’intercesseur d’un corpus déjà estimable pour un trentenaire – dix pièces seront jouées au fil du festival, dont une commande des Arcs et une création mondiale. Si la réorganisation du programme ne fera plus coïncider notre séjour avec l’une des deux dernières, chacune de nos deux soirées témoignera de cet engagement pour la musique d’aujourd’hui, non limité aux gloires établies, et affirme une confiance envers les nouvelles figures de la création, fort opportune dans un rendez-vous façonné par le sens de la transmission générationnelle.

L’équilibre de la présente soirée offre un remarquable démenti à la réputation d’austérité dont souffre le répertoire d’après la Seconde Guerre mondiale. Reprenant le matériau de six des onze numéros des Musica ricercata pour piano (1951/53), les Six bagatelles pour instruments à vents (1953) de György Ligeti développent une jubilatoire expérimentation formelle, certes à la marge des avant-gardes les plus intransigeantes, mais non moins inventive. De fait, l’enrichissement de l’instrumentarium par un accordéon, sous les doigts de Bruno Maurice, ne trahit pas cet instinct d’exploration ludique, à l’expressivité calibrée. Le jeu se prolonge au delà même du corpus arrangé par le compositeur hongrois, en reprenant les séquences transcrites à l’accordéon par Max Bonnay, portant le feuillage à neuf miniatures, livrées dans un ordre rebattu. Ultime dans le catalogue, mais non dans ce concert, Omaggio a Girolamo Frescolbaldi, Andante misurato e tranquillo constitue un climax où la dilatation du temps musical se mêle à une admirable décantation des timbres.

Introduit par quelques mots de son auteur, qui en rappelle l’inscription dans un triptyque articulé autour des confins du chant, Après l’ineffable (2017) de Benjamin Attahir (pour violoncelle et piano) ne démentit pas, dans une inspiration fort différente, cette alchimie entre exploration et ondulations mélodiques, sans céder à quelque facilité passéiste. S’élevant d’une douce mélopée teintée d’un discret orientalisme, le dialogue entre les instruments progresse vers un lyrisme fiévreux, relayé par l’archet d’Adrien Bellom et secondé par la scansion vigoureuse du clavier de son frère, Guillaume. La dramaturgie de ce crescendo mêle la fluidité de la construction à un souci de l’effet nourri d’une authentique sensibilité.

Pour revenir à la première moitié du XXe siècle, la Sonate pour violon et piano n°2 Sz.76 (1921) de Béla Bartók ne dédaigne pas la modernité. Aux côtés de la ponctuation de l’ivoirede Nathanaël Gouin, Guillaume Chilemme déploie la tension intérieure du Molto moderato éclos dans un Allegretto d’une virtuosité sans temps mort. Francesco De Angelis et Gregorio Robino rejoignent le pianiste français dans le Trio pour violon, violoncelle et piano en ré mineur Op.32 n°1 (1894) d’Anton Arenski. Les quatre mouvements de cette célébration du romantisme, où l’empreinte germanique se colore de fragrances slaves, font respirer une complicité qui ferait presque oublier que les trois pupitres ne forment qu’un ensemble de circonstance. La magie des rencontres entre répertoires et musiciens fait tout le sel de l’Académie Festival des Arcs, comme l’illustre ce programme à la fois exigeant et généreux.

GC