Chroniques

par bertrand bolognesi

Bach par Sigiswald Kuijken
Gabrieli par Jean Tubéry

Festival de Sablé / Églises de Sablé et de Meslay-du-Maine
- 24 et 25 août 2006
Sigiswald Kuijken joue Bach au Festival de Sablé (photo de Georg Thum)
© georg thum

Finissons notre chronique sablésienne par deux concerts sacrés, puisque jeudi soir l'église de Sablé nous transportait à Venise et que celle de Meslay-du-Maine nous invitait à Leipzig, vendredi après-midi.

Ainsi entendions-nous les Cantates BWV 35, BWV 164 et BWV 17 de Johann Sebastian Bach, respectivement Geist und Seel wird verwirret (L'esprit et l'âme sont confondus), Ihr, die ihr euch von Christo nennet (Vous qui vous dites disciples du Christ) et Wer Dank opfert, der preiset mich (Celui qui offre l'action de grâce me fait gloire). L'orchestre est placé latéralement, autour de deux violoncelles et de l'orgue qui occupent le fond de scène, ce qui, par rapport à situation frontale ou semi-circulaire, permet une meilleure définition de chaque timbre. On ne saurait épiloguer sur l'excellence stylistique et musicale de La Petite Bande qui poursuit son exploration systématique des cantates de Bach ; en revanche, de fâcheux soucis de justesse destabilisent trop souvent violons et altos. Il semble que Sigiswald Kuijken [photo] lui-même ne soit pas au mieux des possibilités qu'on lui connut. Autrement fiables s'avèrent hautbois, flûtes, violoncelles et surtout l'orgue, excellent. Côté voix, si Jan Kobow (ténor) charme l'oreille par l'égalité du timbre, l'impact vocal sans question, la clarté des harmoniques, la précision de la diction et même l'intelligence du texte, la basse Dominik Wörmer convain moins ; la couleur est avantageusement profonde, mais le vibrato s'égare parfois jusqu'à l'instabilité. Plus terne, Petra Noskaiová (alto), tout en affirmant une belle rondeur du timbre dans le médium, souffre d'un bas-médium fragile et d'un grave anémié ; les vocalises sont toutefois irréprochablement réalisées. Enfin, le soprano Gerlinde Sämann emporte les suffrages grâce à l'évidence du placement vocal et à la sensibilité d'un chant idéalement mené.

Il y a presque trois ans, nous vous parlions des Trionfi Sacri, un programme Gabrieli sous-titréMusique festive dans la Venise des Doges qui fit l'objet d'une gravure chez Assai [lire notre chronique du 13 septembre 2003 et notre critique du CD] Avec le Chœur de Chambre de Namur et La Fenice, Jean Tubéry investissait alors l'église du Val-de-Grâce (Paris). Jeudi soir, il transcende de ces motets et chansons l'acoustique difficile de l'église de Sablé, grâce à un dispositif particulier. L'écoute est sollicitée par trois sources : les chaises de la nef ont été placées de manière à former deux blocs-public orientés face à face et séparés par une large allée où se pose le chef, dirigeant – on mesure d'autant plus l'extrême lisibilité, ici salutaire, de sa battue – un pôle à droite, un autre à gauche et le troisième au fond, sous l'orgue du portail. Ce n'est pas tout : en fonction des besoins de chaque pièces est organisée une circulation des interprètes entre les trois pôles, déjouant toute permanence de l'exécution. Du coup, dialogues, échanges, répons, échos et contrepoints se révèlent.

Il semble bien que le lieu, réputé ingrat, soit ainsi efficacement apprivoisé. Observons que, par rapport à la tournée passée, le programme fut remanié pour Sablé et La Chaise Dieu. Emportés par l'enthousiasme d’Exultet jam angelica turba coelorum, entre autres, la magie d'une déambulation sonore captivante, et encerclé par l'Alléluia qui rend folles les chauves-souris, les auditeurs font un triomphe aux artistes.

BB