Chroniques

par bertrand bolognesi

Bertrand Chamayou – morceaux choisis, 1
Chopin, Liszt, Mendelssohn, Saint-Saëns, Schubert, Schumann et Verdi

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 8 janvier 2017
récital romantique du pianiste Bertrand Chamayou chez Jeanine Roze
© marco borggreve

Belle idée que celle de Bertrand Chamayou à proposer un parcours dans l’album intime de ses amours musicales. Dans la série des Concerts du dimanche matin produite de longue date par Jeanine Roze – c’est d’ailleurs dans ce cadre qu’on l’applaudit dans les Visions de l’Amen de Messiaen (avec son camarade Roger Muraro), il y a quelques temps [lire notre chronique du 12 octobre 2014] –, le pianiste invite à deux rendez-vous commentés, comme il est désormais devenu de bon ton. S’il avancera vers notre aujourd’hui dans celui de la semaine prochaine, à partir de Liszt et jusqu’à Jonathan Harvey, c’est au chapitre romantique qu’il consacre le premier, puisant dans des miniatures s’étant bien souvent trouvées sous ses doigts au cours des dix dernières années.

Felix Mendelssohn, d’abord, avec six pages extraites des vastes Lieder ohne Worte jalonnant le parcours du compositeur saxon. La fluidité du chant s’impose d’emblée, dans un élan généreusement engagé qui semble tout naturel (Op.19 n°1). La deuxième s’emporte comme un conte triste, souple et doux dans l’inquiétude consolée – un chagrin pur, presque enfantin (Op.19 n°2). La fièvre de l’Allegro non troppo en ut mineur (Op.38 n°2) va son cours, aspirant à plus de lumière, par-delà ses brumes délicates. Une nuance exquise introduit la fausse simplicité du Moderato (Op.67 n°5), si singulier. On ne résiste pas au cantabile saccadé de l’Allegro leggiero en fa # mineur (Op.67 n°2), tant schumanien qu’intranquille. Une sorte de chasse-neige facétieux clôt ce moment (Op.104 n°5) dans le bonheur recouvré du seul jeu. À Bertrand Chamayou la musique de Mendelssohn va particulièrement bien.

Il nous emmène ensuite dans quatre transcriptions dues à la main de Liszt – sorte de fil conducteur, au fond, des deux récitals. Mendelssohn fait le lien, avec Auf Flügeln des Gesanges tiré de son opus 34. On y admire le chant généreux et plein de la main gauche, mais encore l’inspiration lyrique. « Mitten im Schimmer der spiegelnden Wellen… »… non, aucune voix humaine ne servira l’incroyable et célèbre ritournelle de Schubert, et pourtant rien ne manque au séduisant Auf dem Wasser zu singen. Les incessantes reprises s’agrémentent de variantes toujours plus virtuoses, dont un infernal accelerando typiquement lisztien jusqu’en son papillonnement conclusif. De son ami Fryderyk Chopin, Ferenc Liszt retravailla Moja pieszczotka Op.74, mélodie polonaise qui, sous sa plume, devint Meine Freude. L’élégie tendre invite la rodomontade belcantiste selon une exponentielle orgie d’effets. Après ce luxe opératique, retour du Lied avec le chatoyant Widmung des Myrthen Op.25 de Robert Schumann [lire notre critique de l’enregistrement de Diana Damrau]. Le brio diabolique de l’inventif transcripteur magnifie la fantasie – seul moteur stable de Schumann, croyons-nous. Sans ambages, la maestria si élégamment déployée emporte l’adhésion du public.

Quittons le domaine de la pièce brève, après ce Widmung déjà lui-même assez développé, d’ailleurs, avec le sixième épisode de la deuxième des Années de pèlerinage : Sonetto 123 del Petrarca (en si bémol majeur), pur moment d’éloquence et de virtuosité. Toujours de Liszt, la farouche Paraphrase de concert sur le Miserere du Trovatore de Giuseppe Verdi contraste dramatiquement. Cependant, une pédalisation trop peu respirée laisse l’oreille près du piano plutôt que de l’enlever vers l’exubérance des plafonds d’opéra. C’est dommage mais, avec cet esbroufant grave lourdement vrombi, on ne comprend plus grand’chose. Il n’en va pas de même avec Venezia e Napoli, supplément du même recueil : les reflets déformant à la surface des eaux du canal appellent subtilement la Gondoliera, dont l’aigu se dentellise tout en douceur, y compris dans les redoutables notes répétées, d’une exactitude pharmaceutique. Après la tragique Canzone centrale, sombre comme le péché, la Tarentella tournoie et bondit dans de divines diableries – bravo !

Pour terminer, Chamayou a choisi Camille Saint-Saëns – on se souvient de son Égyptien de l’été [lire notre chronique du 23 juillet 2016]. Ainsi ouvre-t-il une fenêtre vers son récital du 15 janvier où retentira un célèbre triptyque de Ravel, entre autres. On connaît mal les Études Op.111 (1892) du Français tendu vers le Maghreb, dont il fait sonner la quatrième, Les cloches de Las Palmas ; l’inflexion et la couleur sont cousines de ses contemporains Albéniz et Granados. Après cette pièce mélancolique qui suspend une amorce de Dies irae, son ainée l’Étude en forme de valse (Op.52 n°4, 1877) se noie tour à tour dans des façons d’odalisques ou l’excès, délicieux, d’eau de fleur d’oranger. À suivre…

BB