Chroniques

par laurent bergnach

Biennale Pierre Boulez – épisode 4
créations signées Patrick Marcland et Céline Steiner

Laurent Camatte, Carole Dauphin-Roth, Louise Desjardins, Adrien La Marca
live.philharmoniedeparis.fr / Philharmonie, Paris
- 23 janvier 2021
Quatre altistes rendent hommage au défunt Christophe Desjardins (1962-2020)
© gil lefauconnier

Le 13 février dernier, à l’aube d’un premier confinement sanitaire qui augurait l’actuelle fermeture des salles de concerts, on apprenait avec stupeur, et une profonde tristesse, le décès de Christophe Desjardins. Promoteur de son instrument et de l’art d’aujourd’hui, soliste de l’Ensemble Intercontemporain pendant une vingtaine d’années, l’altiste était très apprécié des compositeurs pour ses aptitudes musicales, mais aussi pour ses qualités humaines. Le présent concert, avec participation du GRAME (dispositif électronique) et de Serge Lemouton (réalisateur informatique musicale), salue celui dont le sourire a marqué les mémoires.

Née à Baden-Baden en 1991, Céline Steiner est connue comme interprète et compositrice, servant la musique ancienne et la création. Parmi les professeurs qui l’ont formée à l’écriture, citons Frédéric Durieux, Helmut Lachenmann, Isabel Mundry et Brice Pauset. Commande de Desjardins donnée ici en première mondiale par Louise Desjardins, la page pour alto et électronique qui ouvre le concert s’inspire de plusieurs notions (vent, mort, frontière, etc.). Pour citer l’auteure, « Apories est une double traversée d’un matériau harmonique composé selon une technique en constante réévaluation de pièce en pièce, en écho à la forme transcendantale de la chaconne dans son balancement régulier entre les deux couches harmoniques, avançant ainsi dans le temps vers l’infini » (programme de salle). Malheureusement, un climat suranné, quasi monochrome, et un caractère bavard n’ont pas su nous toucher.

De Patrick Marcland (né en 1944), Christophe Desjardins avait enregistré (2008), puis créé en public (2011) une première version d’Alto-Solo I. Si le Niçois d’adoption est conscient de son héritage musical – « difficile d’échapper à l’exemple de Bach quand on s’adresse à un seul instrument à cordes », c’est le Nouveau Monde, et New York en particulier, qu’on entend dans cette version augmentée en deux mouvements, créée ce soir par Laurent Camatte – « j’ai été inspiré par son agitation, sa dynamique et ses contrastes, la verticalité et le chaos de certains quartiers de Manhattan ». Les premiers moments sont nerveux, avec l’énergie d’une déclamation théâtrale ou d’une danse. Ils mènent à d’autres plus frôlés et vaporeux, assez envoûtants. Virtuose vif et infiniment présent, l’interprète sublime un tissu qui donne parfois l’impression qu’agissent plusieurs instruments.

De Pierre Boulez (1925-2016), la passion pour l’alto remonte à plus loin que Messagesquisse (1977), dédié au violoncelle. C’est pourquoi une adaptation pour sept de ces instruments a vu le jour (2000), défendue par Christophe Desjardins, ainsi qu’une autre pour alto et bande donnée aujourd’hui en création française. Adrien La Marca ne démérite pas dans un opus qui gagne en intensité avant de rechercher une certaine sobriété.

Enfin, c’est encore l’artiste auquel il est rendu hommage [lire nos chroniques du 28 septembre 2003, du 2 février 2004, du 10 juin 2007, du 22 mars 2009 et du 21 février 2014] qui donna naissance à Partita I (2007) avec électronique en temps réel. Pour cette œuvre en sept parties à l’écriture dense, à la riche polyphonie, Philippe Manoury (né en 1952) [lire nos chroniques de Saccades, B-Partita, Le Livre des claviers, Éclats d’alerte, Kein Licht., Zones de turbulences, Melencolia, Echo-Daimónon, La nuit de Gutenberg, Pluton, Identités remarquables, Tensio, On-Iron, Noon et de Passacaille pour Tokyo, ainsi que notre recension de La musique en questions, livre d’entretiens paru aux Éditions Aedam Musicae] a étroitement collaboré avec l’interprète afin d’observer différents types de phrasés. Ce dernier, qui parlait d’un « orchestre en miniature » à propos des haut-parleurs, a notamment insisté pour explorer le registre aigu de l’alto, encore peu investi. Félicitons Carole Dauphin-Roth, à l’aise avec l’expressivité et le suspense de ce chef-d’œuvre pour soliste. Ainsi s’achève le premier chapitre de la Biennale Pierre Boulez dont la suite est programmée en juin prochain [lire nos chroniques des 19, 20 et 21 janvier 2020].

LB