Chroniques

par bertrand bolognesi

Cappella della Pietà de' Turchini
Antonio Florio joue Provenzale et Pergolesi

Festival de Saint-Denis / Basilique
- 8 juin 2004
le chef Antonio Florio, patron de la Cappella della Pietà de' Turchini (Naples)
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Depuis quelques années déjà le chef Antonio Florio dirige son ensemble Cappella della Pietà de' Turchini à travers le monde, à la redécouverte d'un répertoire oublié, celui de la Naples baroque, théâtrale et religieuse. Récemment, on put l'entendre dans la Didonne de Piccini, entre autre, mais aussi à travers une activité discographique régulière (Paisiello, Latilla, Cavalli, etc.). Ce soir, il explore les douleurs de la Vierge à la mort du Christ, avec le fameux Stabat Mater de Giovanni Battista Pergolesi.

Auparavant, la formation napolitaine donne l'hymne Pange lingua gloriosi dans une version pour deux voix attribuée à Francesco Provenzale mais dont le style diffère nettement des autres œuvres connues de ce compositeur. Celui-ci s'était attaché au texte de l'hymne grégorienne vers 1680 en écrivant un Pange Lingua pour neuf voix réparties en deux chœurs et accompagnées d'instruments, qui fut longtemps joué et suscita de nombreuses adaptations plus tardives, comme celle que la Basilique fait sonner ce soir. Présentée dans une lecture d'une grande clarté et d'une fascinante sérénité, la brève pièce surprend en livrant l'un des motifs du Stabat Mater de Pergolesi, trait qui n'apparaît pas dans la première version et qui tend à confirmer la datation plus tardive et l'idée d'une attribution naïve avancées par les musicologues.

En 1736, Provenzale est mort depuis trente-deux ans et le Stabat Mater de Scarlatti a dix-sept printemps (celui de Vivaldi en compte déjà neuf) lorsque Pergolesi achève le sien – le plus célèbre de tous, car il résonne d'une tristesse particulière due sans doute à la circonstance personnelle de la composition, puisque le musicien qui se meurt de tuberculose dans un monastère charge les plaintes de la Vierge à la mort du Fils en pleine jeunesse d'une identification particulière où projeter la désolation de sa propre mort à l'âge de vingt-six ans.

Florio engage une introduction relativement alerte, très élégante et un brin dédramatisée. Dans les premiers temps, le chant paraît quelque peu éthéré, peut-être emprunt d'une calme dévotion qui déroute dans une œuvre écrite en style galant. Le soprano Maria Grazia Schiavo détimbre souvent les pianississimi, offrant par ailleurs une voix d'une indéniable fraîcheur et fort agile. C'est vraisemblablement un parti pris du chef, puisque le contralto Sonia Prina, d’habitude plus généreusement sonore et volontiers théâtral, demeure en retrait, voire timide. Certes, nous ne sommes pas à l'opéra, mais tout de même…

Ménageant une sonorité toujours digne qui suit pas à pas le sens même de chaque verset – de sorte que le mot de Modeste Grétry (« Pergolèse naquit et la vérité fut connue ») vient immanquablement à l'esprit –, Antonio Florio et sa Cappella évitent tout relief excessif et inscrivent l'œuvre dans le classicisme, tandis que d'autres interprètes s’ingénient à l'attacher au baroque. Cette option est tenue d'un bout à l'autre avec une vraie cohérence.

BB