Chroniques

par françois jestin

Cavalleria rusticana | Chevalerie rustique, opéra de Pietro Mascagni
I Pagliacci | Paillasse, opéra de Ruggero Leoncavallo

Opéra Grand Avignon / Opéra Confluence
- 6 mars 2020
Éric Perez met en scène I Pagliacci et Cavalleria rusticana à Avignon
© cédric et mickaël | studio delestrade

La particularité du Concours international de chant de Clermont-Ferrand est d’offrir à ses lauréats, en plus de sept prix, un engagement dans une prochaine production lyrique. En mars 2019, le choix s’est porté sur la plus classique double-affiche vériste, soit Cav/Pag comme la dénomment les Anglo-Saxons. Le spectacle est proposé sur deux saisons (2019-2020 et la suivante), en coproduction entre Avignon, Clermont-Ferrand, Massy, Reims et le Festival de Saint-Céré (Cie Opéra Eclaté).

La mise en scène d’Éric Perez [lire nos chroniques de Die Dreigroschenoper, Der fliegende Holländer, Dialogues des carmélites, Le nozze di Figaro et Les pêcheurs de perles] connaît sa première ce soir, dans la salle temporaire de l’Opéra Confluence, située en dehors du centre-ville, à côté de la gare TGV. Originalité qui n’en est quasiment plus une, pour avoir vu ce choix effectué dans plusieurs représentations par le passé, la soirée démarre par le Prologue des Pagliacci, avant d’enchaîner avec Cavalleria rusticana. Vraie originalité pour le coup, c’est le titulaire du rôle de Silvio – à la place de Tonio habituellement – qui entre par la salle, toutes lumières allumées, puis harangue les spectateurs au plus près du public. Le rideau s’ouvre ensuite sur un décor unique, haute ossature de trois arches en travers du plateau, des portants de vêtements et une petite scène entourée d’éclairages au centre évoquant davantage l’opus de Leoncavallo. Pour Cavalleria, il s’agit bien d’un théâtre dans le théâtre, les choristes, que l’on sent assez empruntés dans leurs mouvements, allant s’asseoir à cour. La musique suggère beaucoup plus que le visuel la place du village sicilien baignée par le soleil, mais l’église est astucieusement figurée par une croix allumée derrière un rideau, au fond, puis une Pietà en tableau vivant.

Les décors et les costumes colorés conçus par Diane Belugou sont naturellement plus en phase avec les Pagliacci, après l’entracte, même si le grand cheval noir à roulettes, sur lequel Nedda fait son entrée, est moins en situation que précédemment lorsqu’Alfio chante son air en faisant tinter les clochettes de l’animal. La passerelle placée entre scène et salle permet au jeu de s’épanouir plus largement, avec les allers et venues de l’amant Silvio parmi les travées de spectateurs, ainsi que le double assassinat final par Canio au premier rang de l’assistance, derrière le chef d’orchestre… mais dommage que la majorité du public (mis à part le premier rang) ne voit pas les corps allongés au sol.

Ce sont globalement les lauréats du concours auvergnat qui font meilleure impression au sein de la distribution vocale. Il en va ainsi de Chrystelle di Marco qui incarne une Santuzza tout feu tout flamme, avec une voix puissamment projetée et de belle couleur. Le vibrato reste sous contrôle, quelques aigus sont magnifiquement tenus et les accents de jalouse vengeresse évoquent irrésistiblement Tosca. Très belle en scène, sa consœur Solen Mainguené fait, elle aussi, valoir de beaux moyens, une expressivité appréciable, mais un registre grave plutôt sourd. La sonore Ania Wozniak (Lola) et Dongyong Noh, baryton au souffle long mais pas toujours impeccablement juste (Alfio, Tonio), accusent également des limites évidentes dans le grave, tandis qu’on goûte le ténor délicat et musical Jean Miannay en Beppe.

Concernant les artistes hors manifestation clermontoise, le point faible concerne malheureusement les deux rôles masculins les plus sollicités de la soirée, à savoir Turiddu puis Canio, attribués à Denys Pivnitskyi. On apprécie le ténor uniquement dans ses rares aigus, très vaillants, mais le reste de la tessiture manque de fermeté et de stabilité. Le style s’avère continuellement larmoyant et le chanteur est sujet à une faiblesse supplémentaire au début des Pagliacci. L’instrument du baryton Jiwon Song (Silvio) paraît bien plus sain, doté d’un beau grain suffisamment sonore, à l’aigu toutefois tendu, voire réduit, alors que Gosha Kowalinska est dotée d’un timbre sombre qui va bien à Mamma Lucia, avec un vibrato, en revanche, très développé.

La direction musicale de Miguel Campos Neto est une bonne surprise, avec un Prologue de Pagliacci sans gros son, une grosse caisse plutôt retenue, sans aller toutefois jusqu’à susciter le qualificatif de chambriste. L’Ouverture de Cavalleria développe plus d’ampleur, bien que gardée sous contrôle. L’Orchestre Régional Avignon-Provence n’est techniquement pas parfait mais fort satisfaisant (belles cordes, jolis bois), alors que le Chœur de l’Opéra Grand Avignon produit un correct fondu d’ensemble, malgré quelques piani plus douloureux, au pupitre des sopranos en particulier.

FJ