Chroniques

par richard letawe

Chamber Orchestra of Europe
Tabea Zimmerman joue Beethoven, Hindemith et Mozart

Philharmonie, Luxembourg
- 13 octobre 2007
l'altiste Tabea Zimmerman, photographiée par Marco Borggreve
© marco borggreve

Artiste en résidence à la Philharmonie de Luxembourg, l'altiste Tabea Zimmerman sera présente en janvier en concerts solos pour les enfants, reviendra en février en tant que membre du Quatuor Arcanto, puis en avril pour le Concerto d'Alfred Schnittke avec l'Orchestre national du Capitole. Elle inaugure cette présence avec le Chamber Orchestra of Europe, dans un programme assez inhabituel qui commence par le Concerto pour clarinette en la majeur K622 de Mozart, transcrit pour l'alto par Christopher Hogwood.

Le répertoire concertant pour alto n'étant guère fourni, il est légitime d'essayer de l'étoffer quelque peu en réalisant des adaptations. Ce choix est judicieux, car les deux instruments possèdent des timbres et des registres expressifs assez proches. Mozart aimait l'alto, il en tenait généralement la partie lors des soirées de musique de chambre auquel il participait à Vienne ; il l’a d'ailleurs marié avec la clarinette dans le magnifique Trio Kegelstadt K498. Rappelons qu'afin de compléter une commande qui l'ennuyait, le compositeur n'hésita pas à transcrire sans vergogne son Concerto pour hautbois, son deuxième Concerto pour flûte, et qu'il composa son concerto pour une clarinette de basset, la majorité des exécutions étant faite avec des clarinettes modernes qui ne peuvent descendre aussi bas. C'est donc déjà une transposition qu'on entend la plupart du temps, l'original ayant d'ailleurs été perdu.

Ce principe accepté, on peut dès lors apprécier ce concerto à sa juste valeur, car le travail d’Hogwood est consciencieux. Le résultat est à la fois fidèle, en ce qu’il respecte la ligne générale et les principaux accents de la partie soliste, et libre puisqu’il n’imite pas servilement le jeu de la clarinette et donne à la partie soliste des traits purement violonistiques quand c'est nécessaire. Bien entendu, il demeure impossible d'effacer de sa mémoire la version originale et l’oreille fait automatiquement la comparaison. Bien que moins attrayante, l'audition de l'adaptation se révèle plaisante, et la perte des couleurs qu’offrait l'instrument à anches ne se fait pas trop sentir.

Ce Concerto pour alto ne sera jamais un tube, mais on ne peut qu'encourager les altistes à le mettre à leur répertoire auquel il constituera un ajout précieux. Tabea Zimmerman en donne une interprétation convaincante, grâce à sa chaude et riche sonorité, à un jeu décanté et sans fioritures, au vibrato léger. On apprécie sa rayonnante virtuosité, au service d'une expressivité sans affectation dans les deux Allegro, juste entachée de quelques minimes dérapages d'archet dans le Finale. Sa simplicité expressive est particulièrement opportune dans l'Adagio qu'elle ne surjoue pas, alors que l'écriture violonistique l'inviterait plutôt à allonger les notes et à épaissir l'articulation jusqu'au pathos. Équilibré, l'accompagnement du Chamber Orchestra of Europe, dirigé du violon par Lorenza Borrani, est chaleureux, attentif et coloré.

Évincée dans Mozart, la clarinette fait un retour en force avec l'Octuor de Paul Hindemith qui lui réserve une place prépondérante. Dernière œuvre de musique de chambre de l'auteur, il fut créé en 1958 à Berlin. Il fait concerter un groupe de cordes (violon, deux altos, violoncelle et contrebasse) avec une clarinette, un cor et un basson. Ses cinq mouvements, d'aspect fortement contrapuntique, sont d'une grande rigueur structurelle. Le compositeur use de la fugue, du canon, des variations et de la passacaille avec une science consommée, mais sans formalisme pédant, car la beauté sérieuse des thèmes et de leurs développements, la variété des sonorités et la riche palette de couleurs (à dominante sombre) des combinaisons instrumentales rendent l'œuvre fort séduisante. Le public semble captivé par la superbe exécution qu'en donnent les chefs de pupitres, renforcés par Tabea Zimmerman au poste de premier alto. Superlative, leur technique instrumentale offre une pâte d'ensemble à la fois ronde, pleine et homogène – avec mention spéciale pour un clarinettiste aux soli inspirés.

Après l’entracte, Tabea Zimmerman prend le poste de chef d'attaque des altos. On retrouve l'orchestre au complet dans un exercice difficile : l'exécution sans chef d'une symphonie du répertoire. Cette spécialité de l'Orpheus Chamber Orchestra de New York est de temps à autres pratiquée par certaines formations sur instruments anciens, généralement dans des pages de Haydn ou de Mozart. Ici, l'on joue la Symphonie en ut majeur Op.21 n°1 de Beethoven. Ce n'est pas un mince exploit, car l'effectif est important et, mis à part quelques très légers décalages, l'exécution est d'une précision excellente. Cette version se révèle véloce et énergique, avec de fins équilibres instrumentaux, et portée par un enthousiasme collectif évident. Il y manque cependant un peu de prise de risque, les quatre mouvements s'enchaînant sans vraiment marquer l'auditeur comme de beaux moments qu'on oublie vite.

RL