Chroniques

par gilles charlassier

compositeurs de l’académie Voix nouvelles
Ali, Arnold, Cardini, Catranis, Chassaing, Costa, Hertig, Lu, Marković,

Nurhat, Pranulytė, Repečkaitė, Riseman, Sheen, Taylor, Yoshida et Zhang
Festival de Royaumont / Abbaye
- 7 et 8 septembre 2019

Comme l’usage en est établi, le week-end Voix nouvelles du Festival de Royaumont fait entendre les créations de quatorze jeunes compositeurs venus des quatre coins de la planète, en résidence dans une académie de fin d’été sous le tutorat de deux ou trois aînés – cette année, Franck Bedrossian et Mark Barden. Obéissant à une répartition des effectifs des interprètes qui préserve un équilibre des sollicitations au fil des deux jours, le Quatuor Mivos et Florentin Ginot investissent la Salle des charpentes samedi après-midi, pour six opus exclusivement instrumentaux.

Pour quatuor à cordes, Trajectory de l’Étasunienne Zara Ali (née en 1995) ouvre le menu sur une dialectique efficace entre sonorité gracile et traits plus denses et râpeux, élaborant un mille-feuille mobile de lignes thématiques. De la Turque Deniz Nurhat (née en 1989), Tüh séduit par une écriture tenant de l’improvisation, qui explore les ressources de la contrebasse solo avec un sens du lyrisme original où se manifeste le remarquable talent de Florentin Ginot, dans une savoureuse palette d’effets. Yelala pour quatuor à cordes, de l’Israélienne Shiri Riseman (née en 1992), développe, aux confins du silence, une série de modulations à partir d’une cellule grammaticale élémentaire. Pour le même effectif, You are a vineyard du Polonais Tomek Arnold (né en 1990) s’inspire de la polyphonie grégorienne, plus précisément d’un chant qui donne à la pièce son titre, შენ ხარ ვენახი (Tu es un vignoble). Le frémissement des archets fait chatoyer les harmonies d’une expressive décantation. De l’Italien Simone Cardini (né en 1986), Di un lucore farinoso, où l’on retrouve l’excellente contrebassiste, est sans doute l’œuvre la plus aboutie du concert. Ce solo témoigne d’une lisibilité évidente dans l’architecture d’une inspiration foisonnante qui conjugue l’immédiate sensualité, en démultipliant les potentialités instrumentales et stylistiques, et la satisfaction de l’intellect. Réunissant les cinq pupitres de l’après-midi en un quintette à cordes, le Serbe Jug Marković (né en 1987) ordonne Insight into personal space of Yura Gomwick autour de textures évolutives non dénuées de puissance dramatique.

Le lendemain, au réfectoire des moines, le versant vocal de l’Académie est défendu par Les Métaboles à midi, associant parfois Florentin Ginot et le Quatuor Mivos. De la Japonaise Aya Yoshida (née en 1992), The shadows in the rain pour seize voix et contrebasse se déploie dans une quadriphonie immersive où souffle et artifices instrumentaux, à l’exemple du papier aluminium sur les cordes, distillent des halos fantomatiques, dans une attention aux moindres murmures de la nature. De la Lituanienne Juta Pranulytė (née en 1993), The first seven days pour soprano, ténor, contrebasse et chœur, met en avant une plasticité textuelle modelant les versets auguraux de la Genèse biblique. De la Taïwanaise Yi-Ting Lu (née en 1993), Fragmented shatters pour quatuor vocal esquisse des croisements spatiaux et se décline en catalogue d’attaques et d’onomatopées. De la Nord-Américaine Michaela Catranis (née en 1985), Tierlied pour quatuor vocal et quatuor à cordes tire parti d’un effectif en miroir dans un récit poétique d’interludes délicatement feutrés. Torso, air pour double chœur de son compatriote Kevin Zhang (né en 1988) se calque sur les douces distensions du mot et du chant où s’entend en filigrane un poème d’Ocean Vuong, extrait de Night sky with exit wounds. Du Narcisse et Gaïa pour seize voix et contrebasse du Français Basile Chassaing (né en 1986) s’épanouit aux marges du musical, dans des rumeurs vocales et instrumentale, avant un final ponctué par la chute de galets. Pour seize voix et quatuor à cordes, Two things, one way de l’Australien Samuel Taylor (né en 1992) affirme un semblable sens de la dramaturgie, en forme de spirale, au gré d’altérations cycliques du matériau princeps. Mais c’est incontestablement l’ultime The great mirror pour double quatuor vocal du Suisse Mauro Hertig (né en 1989) qui créé l’événement. À partir de fragments de l’encyclopédie homonyme, manuscrit de Frère Vincent de Beauvais, moine ici-même au XIIIe siècle, l’ouvrage compose un ensemble de saynètes ludiques et jubilatoires où le cisèlement des effets confirme un instinct consommé du théâtre, relayé avec gourmandise par les solistes vocaux, déambulant autour du public. La pièce offre un avatar exemplaire du renouvellement du genre lyrique, dépassant les contraintes de l’intrigue et de sa linéarité.

Ce premier week-end offre aussi l’opportunité d’entendre les créations de lauréats des précédentes éditions Voix nouvelles. La première s’inscrit au sein d’un concert donné par le versant interprètes de l’académie, six jeunes soprani coordonnés par Donatienne Michel-Dansac. Au milieu d’un stimulant panorama de l’écriture vocale depuis la Seconde Guerre Mondiale, Justina Repečkaitė (née en 1989 et résidente en 2018) réunit les solistes dans une commande de la Fondation Royaumont, La cité des dames, qui s’appuie sur un extrait de l’ouvrage éponyme de Christine de Pisan (1364-1430). Longue et tenue, la ligne de chant est scandée d’accents sans altérer la fluidité, parfois aux confins de la sédation, d’un tissu sonore maîtrisé. La deuxième commande de la fondation, passée à Jack Sheen (né en 1993), Britannique dont on avait apprécié Long pan requiem [lire notre chronique du 9 septembre 2018], reprend même procédé de cette pièce dans Fitzgerald pirouette, à partir des ultimes vocables de The lost decade du romancier américain (1936/1941). La décomposition analytique de l’écrit s’apparente à la scrutation microscopique d’un stroboscope au ralenti, dans une facture détaillée ici ciselée avec soin. Les décantations homophoniques ne peuvent éviter un résultat monochrome versant dans une placidité qui fait assez pâle figure face aux pages de Jonathan Harvey au menu de la soirée, prolongation créatrice d’un héritage baroque et Renaissance habilement mis en perspective en ces lieux.

Après un récital de piano de Maroussia Gentet où Ravel côtoie des compositeurs d’aujourd’hui, le Quatuor Mivos livre, en clôture de week-end, la troisième commande, passée avec le soutien de Christine Jolivet. Du Portugais Nuno Costa (né en 1986), Lustralis s’articule autour des marges infra-musicales du son et du silence, comme de la facture instrumentale, dans des résonances plus d’une fois métalliques. Si elle retient les leçons et les usages de la recherche contemporaine, la partition ne propose guère d’aventure ni de poétique inouïes.

GC