Chroniques

par nicolas munck

Concerto de’ Cavalieri, Marcello Di Lisa
Alessandro Scarlatti | Erminia, Tancredi, Polidoro e Pastore

Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon / Corum
- 22 juillet 2015
Grande soirée napolitaine au Festival de Radio France et Montpellier 2015
© marc ginot

Pour ses trente ans, le Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon se met à l’heure napolitaine, en contrepoint de l’exposition L’âge d’or de la peinture napolitaine de Ribera à Luca Gioardano accueillie, jusqu’au 11 octobre 2015, par le Musée Fabre. Mené en étroite collaboration avec l’Institut national d’Histoire de l’Art, l’Institut national du Patrimoine (Paris) et bénéficiant de prêts de nombreuses toiles en provenance des musées nationaux et étrangers, ce parcours muséographique met en lumière l’évolution de l’art pictural napolitain depuis le fort héritage du Caravage (arrivé à Naples en 1606) jusqu’à l’explosion d’un génie baroque, spécifiquement napolitain, marqué par un sens aigu de la couleur et du mouvement. En plus de la découverte (ou de la redécouverte) des figures majeures de la peinture napolitaine (Caracciolo, Ribera, Stanzione, Cavallino, Giordano, Recco, Solimena), cette exposition, structurée en six sections, revient sur les représentations des temps forts de l’histoire de la citée campanienne, entre éruptions du Vésuve et révolte du pêcheur Masaniello (1647), qui deviendra gouverneur de la ville l’espace de sept jours.

Pour guider l’auditeur du festival qui a probablement dans l’œil les toiles du Musée Fabre, le CNSMD de Lyon organise, en plein cœur de cette journée napolitaine, une rencontre avec le commissaire de l’exposition, Michel Hilaire (également directeur du musée), afin d’explorer la ville en peintures et à l’aide de nombreux exemples musicaux tirés d’une riche tradition exhumée à la fin de la seconde guerre mondiale – cette tradition avait été occultée par une folklorisation à outrance dans la seconde moitié du XIXe siècle. En termes de programmation, le festival organise sa soirée en deux temps. Première étape à 18h30, Salle Pasteur, avec la Festa Italiana (musique populaire italienne et napolitaine) de l’inénarrable Lucilla Galeazzi accompagnée, dans cette version scénique légèrement et subtilement sonorisée, par Kevin Seddiki (guitare), Francesco Turrisi (accordéon et percussion) et Leonardo Teruggi (contrebasse). Entre chansons d’amour, chansons de célébration et moments de vie délicieusement croqués, nous vivons sans doute l’un des moments musicaux les plus réjouissants et convaincants de notre parcours festivalier. Avec une bonne humeur plus que communicative et une virtuosité vocale décoiffante, Lucilla Galeazzi s’empare littéralement du public qui ne tarde pas à donner de la voix et à marquer énergiquement la pulsation.

Notons également, du côté des accompagnateurs à la stature de solistes, les chorus de guitare et d’accordéon toujours remarquablement construits et inventifs, ainsi que la subtilité des formules d’accompagnement de contrebasse et de percussions digitales. Nous sortons ragaillardis et tout sourire de cette proposition.

21h, même salle. C’est au tour du Concerto de’ Cavalieri d’entrer en lice avec un programme réunissant le Concerto grosso en ré majeur Op.6 n°4 d’Arcangelo Corelli et la sérénade pour quatre solistes et orchestre, Erminia, Trancredi, Polidoro e Pastore d’Alessandro Scarlatti (Naples, 1723), donnée à entendre en création française (seule sa première partie a été retrouvée par les musicologues). Longtemps considéré comme le fondateur de l’école napolitaine d’opéra, Scarlatti reste toutefois bien ancré dans la tradition baroque tout en y intégrant de nombreuses caractéristiques techniques nouvelles (notamment dans l’écriture rythmique, certaines doublures et sauts intervalliques) qu’on trouve plus volontiers chez la jeune génération locale (Vinci, Pergolesi, etc.). Cette sérénade, dont le livret serait attribué, par certaines spécialistes, à Pietro Metastasio – le mystère plane toujours –, fait appel à un quatuor de solistes incarnant les rôles-titres (celui d’Erminia aurait été créé par un certain Farinelli alors âgé de dix-huit ans).

Quelques mots sur l’intrigue.
Après avoir été chassée par des chevaliers ennemis, Erminia erre en pleine forêt et ne trouve le réconfort que dans l’imploration de son bien-aimé (Tancredi). Elle est recueillie par un vieux berger qui lui accorde l’hospitalité (Pastore). Plein de fureur, Polidoro est à la recherche de Clorinda, mais oublie bien vite son désir de vengeance lorsqu’il rencontre Erminia, vêtue en bergère : il n’aspire qu’à une chose, rester auprès d’elle. Tancredi, lui aussi à la recherche de sa chère Clorinda, finit par retrouver sa trace – du moins le croit-il – en questionnant le berger. Polidoro et Tancredi se croisent. Le premier avoue au second son amour pour la bergère. Croyant qu’il s’agit de Clorinda, Tancredi sombre dans un profond état de jalousie, mais continue ses recherches. La première partie se referme sur un air d’Erminia dépassée par les tourments de l’amour – Torbido, irato e nero il ciel per me si fa (Le ciel devient soudain noir et menaçant).

Tout comme dans le concerto, soulignons les qualités sonores de Concerto de’ Cavalieri (flûtes, traverso, trompettes naturelles) et la solidité sans faille du continuo. Portée par la cohésion de l’ensemble, la première française de cette sérénade met également en lumière une pertinente distribution vocale. Maria Grazia Schiavo électrise le public par sa puissance contenue et la maîtrise parfaite des cascades vocalisantes de l’air n°27 (fin de première partie). Elle le donnera à nouveau en bis.

Assez peu présent dans la première partie, Tancredi (Filippo Mineccia [photo], contreténor) a toutefois à sa disposition expressive un sublime air de jalousie – Di fortuna e d’amor tra gl’inganni più accrese gli affani (Dans les errements de la fortune et de l’amour, les tourments de la jalousie accroissent la douleur) où la voix se mêle admirablement aux mouvements contrapuntiques de l’orchestre. Les airs de Polidaro (n°15 et n°23) sont non seulement bien maîtrisés par le ténor Magnus Staveland sur le plan technique (écriture mélismatique avec allongement des phrases et doublures de trompettes naturelles), mais fascinent par la faculté à traduire les affects, avec beaucoup de facilité et sans artifice. Christian Senn (Pastore) n’est pas en reste et, au delà de son intelligence musicale dans les airs, retient l’attention par la densité dramatique entretenue dans les récitatifs, en contrepoint d’un toujours impeccable continuo. Cette journée napolitaine se referme donc, avec bis de rigueur, sur une belle rareté musicale qui n’a pas encore révélé tous ses secrets…

NM