Chroniques

par bertrand bolognesi

Concerto pour violon Op.36 d’Arnold Schönberg
Isabelle Faust, Orchestre de Paris, Daniel Harding

Philharmonie, Paris
- 7 décembre 2017
Arnold Schönberg en 1930, à Berlin, trois ans avant l'exil américain
© stiftung arnold schönberg, vienne

Poursuivant son programme de saison qui ose s’aventurer hors des acquis du répertoire, Daniel Harding ouvre ce concert avec le trop rare Concerto pour violon Op.36 commencé par Arnold Schönberg en 1934, pendant sa première année d’exil aux États-Unis où il l’achèverait deux ans plus tard, et joué pour la première fois il y en a tout juste soixante-dix-sept (par Louis Krasner, le Philadelphia Orchestra sous la direction de Leopold Stokowski, le 6 décembre 1940). Pour ce faire, il invite l’excellente Isabelle Faust dont l’interprétation du Concerto pour violon et orchestre « dem Andenken eines Engels » d’Alban Berg, opus strictement contemporain de celui-ci, demeure vivace en chaque mémoire [lire notre chronique du 19 mai 2016].

Tout au long du concerto, l’écoute est frappée par l’incroyable capacité des interprètes à fluidifier l’exécution d’une musique pourtant écrite sous forte contrainte. Isabelle Faust prend le temps de commencer le Poco allegro dont les pas se posent sans lambiner toutefois, dans une inflexion prégnante à laquelle répond un fin travail detimbres. L’omniprésente lypémanie du mouvement gagne un étonnant lyrisme, habituellement peu associé à la personnalité de Schönberg. La remarquable souplesse d’articulation, couplée avec une tonicité jamais en berne, l’investit d’un naturel confondant. Du coup, les interrogations que le compositeur s’est continuellement posées quant à l’inscription de son œuvre dans la tradition ne semblent plus d’actualité : sa modernité est ici définie dans un héritage romantique, ce qu’après l’âpre et brève cadence soliste l’Andante grazioso ne dément en rien, traversé par des flûtes d’une tendresse indicible, l’onctuosité des violoncelles et même la grâce de la danse. La délicatesse exigeante de l’écriture, parfois chambriste, trouve des défenseurs zélés dans les rangs d’un Orchestre de Paris en grande forme. Encore faut-il dire le savant tissage qui conclut cet épisode médian. La vigueur de l’Allegro final contraste confortablement, sa facture ruchottant d’évidence vers le Concerto pour piano Op.42 et, plus encore, avec Moses und Aron, en chantier depuis 1930. La fermeté lumineuse offerte à leur partie par les altos ainsi que le cantus énergique des cuivres portent plus haut encore le violon solo, dans une texture sans naïve aspérité. L’ultime cadenza laisse pantois.

Après un tel choc – car entendre l’opus 36 en salle, et ainsi joué, en est un –, nous retrouvons Eine Alpensinfonie Op.64 signée par Richard Strauss en 1915. Le vaste effectif gagne la scène, et même un peu plus puisque le poème symphonique convoque tant d’instruments que l’Orchestre de Paris doit avoir recours à quelques musicienssupplémentaires. Le sentiment de belle santé de la formation se confirme haut la main dès les premières mesures. À l’inverse de son approche fort souple du concerto, Daniel Harding structure drastiquement les élans orchestraux, sans ces débordements par lesquels trop souvent l’on débraille l’œuvre. En prenant le temps d’installer chaque climat et de ciseler tous les détails, le chef britannique crée le suspens, réservant aux effets une cohérence dans le fil de la promenade. De ce fait, son interprétation se dresse dans la puissance de la montagne : l’ascension, nez au vent, l’air de rien, gentille, et soudain patatras, la profondeur lointaine d’où sourdent les déchaînements. On est surpris par la salutaire clarté de l’approche, jamais pompière, idéale à illustrer le travail des sommets, lent mais surprenant toujours. Ainsi de la tempête dont chaque évolution a son rôle bien défini – une tempête méthodique, pour ainsi dire, dont les oiseaux dans leur annonce de sa rage à venir recyclent le pépiement sinistre du sabre qui, dix ans en arrière dans l’imaginaire sonore de Strauss, décollait Jochanaan. Et la Nuit de s’étendre généreusement sur l’auditoire…

BB