Chroniques

par bertrand bolognesi

création d’Achachilas de Marco-Antonio Pérez-Ramirez

Opéra national de Montpellier / Corum
- 11 février 2005
le compositeur Marco-Antonio Pérez-Ramirez par Bertrand Bolognesi
© bertrand bolognesi

C’est un programme d’une densité rare que l’Orchestre National de Montpellier donne au Corum. Outre le Concerto n°1 de Brahms qui n’est certes pas d’une facture légère, les musiciens joueront Also sprach Zarathustra de Strauss : un menu généreux dont l’entrée, pour plus brève qu’elle soit, écarte aussi sûrement toute futilité.

En résidence à Montpellier depuis quelques temps déjà, Marco-Antonio Pérez-Ramirez livre à l’orchestre Achachilas, créé ce soir, une pièce de douze minutes à travers laquelle il explore ses propres origines – « les Achachilas sont les esprits protecteurs du peuple Aymara, précise-t-il ; ils sont représentés sur terre par les montagnes qui entourent ces peuples ». Dans la continuité de Du corps… présenté à Radio France il y a deux ans lors du festival Présences, cette œuvre est traversée d’une forte énergie, contrastant volontiers certains appuis sur les cordes graves, une partie de percussions quasiment soliste – mise en exergue par l’opposition qu’elle occasionne entre une relative sécheresse de sa sonorité et l’épaisseur particulière de la pâte générale –, à des respirations qui ne craignent pas le silence. Sans figuralisme, on pourra évoquer des « apparitions », autant d’évènements furtifs et impalpable invitant l’auditeur à s’approcher en toute confiance de puissances tutélaires. De fait, c’est une musique qui ne cherche à manipuler personne, ni par l’utilisation de balises rassurantes, ni par des effets accrocheurs. Écrite dans un grand raffinement, elle naît on ne sait d’où pour exister par elle-même sans avoir recours à l’idée d’un parcours. Ainsi contamine-t-elle discrètement l’écoute de ses mystères, sans les désigner.

Marco Guidarini offre une interprétation passionnante d’Achachilas, en différenciant précisément les plans sonores tout en faisant chanter le moindre motif ; de là une tension permanente qui révèle le relief de l’œuvre et, au delà, son pouvoir. Le chef italien s’engage volontiers au service de la musique d’aujourd’hui. Il dirige actuellement l’Orchestre Philharmonique de Nice au sein duquel il fonda, il y a deux ans, Apostrophe, ensemble à géométrie variable. Avec ces deux outils, il s’ingénie à proposer une pratique plus régulière du répertoire contemporain, tant aux musiciens qu’au public, dans une ville jusqu’alors attachée à une tradition lyrique tournée vers le passé. Lui-même excellent chef de fosse, il donne naturellement à sa lecture d’Achachilas une chaleur rarement croisée dans le concert contemporain ; il souligne judicieusement la sensualité de certaines mixtures, jusqu’à la nudité d’un mélisme de flûte par laquelle cette page s’échappe librement plus qu’elle ne finit.

Dès l’introduction qu’il prend d’un pas plutôt alerte, Marco Guidarini impose au poème symphonique de Richard Strauss une concentration impérative, pour une conduite qu’on pourrait dire musclée, portant à la fois loin le chant des différents soli tout en entretenant une sonorité pleine et puissante comme un fleuve. C’est avant tout par son grand souffle que cette interprétation surprend, soignant peut-être moins certains passages plus chambristes mais évitant, du même coup, une tendance illustrative qui les rend trop souvent mièvres. C’est bel et bien le poème qui s’impose, comme un drame farouche et même frustre avant que d’accéder au spirituel.

François-Frédéric Guy gagne ensuite le plateau pour le Concerto pour piano en ré mineur Op.15 n°1 que Johannes Brahms achevait à vingt-trois ans. À la mesure du désir symphonique de l’œuvre, la baguette ligurienne n’hésite pas à en souligner l’emphase dès le Maestoso, rendant parfaitement compte du travail d’un compositeur encore verbeux qui ne trouverait pas de si tôt à décliner élégamment sa propre grammaire. Cela dit, sa lecture, pour habitée du même grand souffle qu’elle soit, paraît exagérée ; elle s’attache à créer des drames là où l’auteur ne se laissait aller qu’à des effusions. L’arrivée du piano se fait rugueuse, plus précise surtout, ciselant vaillamment le son dans le roc. Mais un équilibre entre l’orchestre et le soliste n’est rendu possible qu’avec l’Adagio central, particulièrement étiré ce soir, dont la cohérence du propos est maintenue jusqu’à son terme (plus simple à dire qu’à faire). Pour finir, François-Frédéric Guy laisse goûter un jeu à la fois délicat et ferme dans l’Allegro ma non troppo où les deux protagonistes ont trouvé un modus vivendi durable. Ma non troppo… certes – mais attention au chef de ne pas trop tarder à conclure.

BB