Chroniques

par laurent bergnach

création d’Isis et Osiris de Jacques Lenot
Ensemble Multilatérale et électronique en temps réel

Ircam, Paris
- 13 janvier 2014
création d’Isis et Osiris de Jacques Lenot à l'Ircam
© caroline gaume

Isis et Osiris. Avec Seth et Nephtys, ils sont nés de Geb (dieu de la terre) et de Nout (déesse du ciel) – elle peut revêtir plusieurs formes animales et représente un certain pouvoir politique en plus de celui de la maternité ; lui, assassiné dans les eaux du Nil avant d’être démembré, donne aux hommes l’agriculture et les lois, règne sur le monde funéraire et sur l’univers en général, veillant au bon fonctionnement des cycles stellaire et végétal dans la lignée de son grand-père Shou, responsable du changement et du concept du temps. Ce temps qui sert d’ossature à la chair-musique…

Jacques Lenot n’a pas puisé dans une histoire des dieux d’Égypte la matière d’Isis et Osiris – créée quelques semaines après D’autres murmures, pour un concert-hommage à Wagner –, mais chez Robert Musil qu’il fréquente depuis le milieu des années soixante, et plus précisément dans un poème éponyme (1923) découvert seulement en 1982. À l’époque, la tentative de composer pour soprano et orchestre mène à une impasse, et même à l’inhibition – de fait, on trouve peu d’opus chantés au catalogue de l’ancien collaborateur de Stockhausen. Avec l’expérience de l’opéra [lire notre chronique du 29 janvier 2007], le retour à ce texte évoquant l’anthropophagie amoureuse fut possible, même si le créateur n’ose toujours pas mettre les poètes qu’il aime en musique. Sa nouvelle pièce n’implique donc pas la voix, mais un septuor à vent (flûte alto, hautbois d’amour, cor de basset, basson, cor en fa, trompette en ut, trombone ténor) avec environnement électronique.

Éparpillés autour du public tel les morceaux du père d’Horus, les vents de l’Ensemble Multilatérale explorent des combinaisons qui vont du solo au tutti, « de manière à ce que s’instaure un dialogue musical avec des questions, des réponses, des trajectoires et parfois de grands ensembles fusionnels et copulatifs » écrit Lenot qui ne recherche pas une virtuosité particulière mais un « lyrisme éperdu ».

De la même façon, préoccupé jusqu’à l’obsession par les sons qui tombent de haut – comme ceux d’Il y a, déjà virtuels, envahissant l’Église Saint-Eustache en 2009, ou ceux de l’orgue de Suppliques [lire notre chronique du 26 septembre 2013] –, le compositeur rejoint Serge Lemouton durant trois années de cessions à l’Ircam, en quête de « poudroiement sonore ». Il profite de deux systèmes de pointe récemment installés dans l’Espace de projection, la WFS (synthèse d’hologrammes sonores) et Ambionics (immersion sonore 3D), pour synthétiser quatre ensembles de quarante-huit quatuors instrumentaux (bois, cuivre, corde et percussion) qui prolongent l’écriture instrumentale.

On entre dans la pièce avec une flûte nocturne qui peint un paysage à grands traits, que les autres instruments colorent de touches tendres. C’est d’ailleurs un souvenir élégiaque, pastoral et sylvestre (bref écho de chasse à cour ? de coucou ?) qui perdure au moment de rendre compte de cette heure d’immersion, avec des instruments parfois agités qui s’émancipent un instant jusqu’à l’angoisse grimaçante, mais cherchent au final un apaisement, une réconciliation. Scintillante, l’électronique se pose avec la légèreté d’un voile avant d’approcher la densité et la richesse discrète d’une canopée. On y entend des textures raffinées ornées d’hybrides à mi-chemin entre l’organique (battement de cœur, souffle, sifflotement, reptation, ressac, etc.) et le mécanique (forge, clavecin, orgue, etc.) auquel la longue note tenue par la trompette vient mettre un point final troublant. Venu tard à l’électronique, Jacques Lenot en tire le meilleur [concert disponible à l'écoute sur le site de France Musique, jusqu'au 9 octobre 2016].

LB