Chroniques

par bertrand bolognesi

création de …denn alles muss in nichts verfallen…
Michael Jarrell par l'Ensemble Intercontemporain et Accentus

Musica / Palais des Fêtes, Strasbourg
- 24 septembre 2005
l'excellente violoniste Hae-Sun Kang, soliste de l'Ensemble Intercontemporain
© christian creutz

Poursuivant son investigation de l'œuvre de Michael Jarrell, compositeur suisse qui enseigne à Vienne et Genève et vit actuellement à Strasbourg, le festival accueille ce soir l'Ensemble Intercontemporain et Accentus pour la création de …denn alles muss in nichts verfallen…, sorte d'oratorio imaginé à partir de Mémoires, pièce de 1996 entendue tout dernièrement lors de la Biennale d'Art Vocal [lire notre chronique du 14 juin 2005]. On retrouve les citations du Livre de l'Ecclésiaste ainsi que les témoignages de survivants de la Shoah. Le comédien belge Johan Leysen s'installe derrière une table trapézoïdale placée à l'avant scène, à côté de Pascal Rophé qui dirige le concert ; il dira, tour à tour en français et en allemand, le texte que le compositeur a voulu entendre parlé plutôt que chanté, laissant au chœur des bribes saisissantes, comme autant de fragments de l'horreur et de l'indicible.

Neuf ans plus tard, cette incursion dans un ancien matériau vient ainsi surenchérir une expression qui déjà cumulait les clichés sonores. Aujourd'hui, l'énonciation des nombres de victimes, dont on ne sait trop ce qu'ils désignent précisément, passe à côté du but recherché. Loin d'en être ravivée, la conscience que l'auditeur peut avoir de ces choses (et qui ne l'a pas, après Nacht und Nebel ?) se trouve presque anesthésiée par cet assommant goutte à goutte. En fait, l'auteur sort d'une localisation exclusive du sujet pour étendre la réflexion à d'autres massacres, donnant alors les chiffres des morts ougandais, indonésiens, guatémaltèques ou biafrais. L'insert de cette narration vient tant alourdir le propos général, par définition déjà peu léger, qu’à l'inverse il le rendrait presque futile. Le sujet, grave par nature, n'a que faire d'un tel plomb. Effet indésirable : le plus touchant demeure le récit de la mort du petit violoniste, parce que l'évocation de la souffrance d'un musicien sur une scène occupée par des instrumentistes, pire encore celle de la destruction du violon lui-même qui, sommes toutes, devrait être ressenti comme objet dans ce contexte, crée une proximité sensible ; du coup, on pourrait bien se désintéresser de tous les autres. Je ne veux absolument pas dire que ces choses soient volontaires, mais peut-on, lorsqu'on touche ces épisodes douloureux de notre histoire, se permettre la naïveté ?

La première partie du concert présentait deux pages plus anciennes de Michael Jarrell, à commencer par Music for a while, écrite il y a dix ans à partir des premières mesures du célèbre air de Purcell. La lecture de Pascal Rophé use volontairement des contrastes possibles de la partition, dans une rhétorique un rien « romantique » qui, si l'on parvient à s'y laisser guider, bouleverse.

Hae-Sun Kang [photo] rejoignait ensuite le plateau pour une interprétation flamboyante de …prisme/incidences…II, concerto pour violon et ensemble dont la version définitive fut achevée en 2002. Ne dérogeant pas à la sévérité de sa facture, l'auteur propose un parcours continue dans une œuvre où l'on devine cependant les trois mouvements du concerto classique, avec cadence, voire anticadence parfois.

BB