Chroniques

par gilles charlassier

création de Buch d'Enno Poppe
et de Lurralde de Ramon Lazkano par le Quatuor Diotima

Festival d’automne à Paris / Théâtre des Bouffes du nord
- 10 octobre 2016

Le quatuor à cordes n'a rien d'un fossile. Avec deux créations présentées par les Diotima ce soir au Théâtre des Bouffes du Nord, le Festival d'Automne à Paris en témoigne remarquablement. Refermant le concert, celui d'Enno Poppe, Buch (commande conjointe du rendez-vous parisien, de la Westdeutscher Rundfunk, de Transit à Louvain, d’Huddersfield et des interprètes) se veut un hommage au Livre pour quatuor de Pierre Boulez [lire notre chronique du 10 décembre 2012]. Sans chercher à en imiter le formalisme sériel, la pièce en reprend le principe de variation dans une construction à la facture d'apparence classique – on reconnaîtra, par exemple, des migrations et transformations de motifs d'un mouvement à l'autre, en particulier du premier au dernier, procédé illustré généreusement par la tradition du genre. S'il peut sembler vain d'énumérer les réminiscences du répertoire que l'oreille décèlera çà ou là, l'influence de Janáček s'entend avec évidence dans les récurrences d'ostinati brefs tissant une prose poétique au plus près de l'énonciation musicale. Dédicataire de la partition, le Quatuor Diotima en fait ressortir la structure avec une lisibilité stimulante pour l’esprit autant que pour l'imagination de l'auditeur.

La plastique thématique n'y est pas étrangère et se révèle plus riche que dans Lurralde de Ramon Lazkano, mystérieux étirement de la matière sonore dans des confins piani, séduisant avant de pécher par un relatif défaut de renouvellement. Au fond, le compositeur s'attache avant tout à l'installation d'une atmosphère que d'aucuns pourraient qualifier de picturale. Aux marges de l'hypnotisme, la durée du morceau (plus d'une vingtaine de minutes) ne se légitime pas par une architecture formelle. Plus brève, Ezkil pour guitare seule, confiée à Caroline Delume, répond à un semblable instinct démonstratif à partir de quelques archétypes de l'instrument, suscitant un déplaisir nettement moindre que la satisfaction cérébrale.

Finissons pour une fois par le début (de la soirée), Goethe-Lieder, un recueil à quatre de Luigi Dallapiccola – trois clarinettes et une voix – sur des extraits du Divan occidental-oriental (West-östlicher Divan, 1919/27). Pour être le plus ancien chronologiquement, l'ouvrage n'en est pas le moins moderne. En quelques neuf minutes, les sept quatrains alternent les combinaisons de pupitres pour déployer de fascinantes nuances de demi-teintes condensées à la manière d'un Webern que nourrit un lyrisme d'autant plus irradiant qu'il est retenu par une sensuelle pudeur. Si les trois solistes – Mathieu Steffanus, Benoît Savin et Manuel Metzger – maîtrisent admirablement l'économie de l'œuvre, on regrettera la relative raideur du soprano Marion Tassou qui semble croire nécessaire de verser parfois dans un certain intellectualisme, oubliant les ressources de l'émotion chez un grand musicien italien du XXe siècle qu'il conviendrait de moins négliger.

GC