Chroniques

par bertrand bolognesi

création de Ganesha de Philippe Schœller

Festival Résonances / Centre Pompidou, Paris
- 13 octobre 2004
Ganesha
© dr

Si le public parisien visite les laboratoires et studios de l’Ircam (Institut de recherche et Coordination Acoustique Musique) ce week-end, lors des journées portes ouvertes, il peut également se placer au cœur de la création musicale en suivant les rencontres internationales des technologies pour la musique, autrement dit les Résonances, depuis le 13 octobre et jusqu’au 22 (étant entendu que le spectacle Le privilège des chemins, qui entre dans ce cadre, se joue au Studio Théâtre depuis le 15 septembre). Cette année, Résonances se concentre sur écriture et interprétation, à travers quatre concerts et quatre installations sonores (visibles de 10h à 18h).

Aussi entend-on jeudi soir les œuvres de trois musiciens, lors du concert d’ouverture donné par l’Ensemble Intercontemporain que dirige Zsolt Nagy, et avant tout la première de Ganesha, nouvelle œuvre de Philippe Schœller, écrite pour percussion et ensemble. Après Cosmos, Incantations, Isis, Geologia, Hêlios, ou autres Totems, Alcyon et la symphonie Zeus entendue tout récemment au festival Musica, il semble naturel qu’aujourd’hui le compositeur présente une pièce inspirée de l’éléphant-danseur, né de rosée et de safran. À la percussion, Michel Cerutti ouvre la fête aux résonnantes, s’achemine dynamiquement vers les peaux, bientôt frénétiques, pour faire « décoller » dans l’effervescence rythmique une virtuosité animée, à la limite de la transe. Voilà une œuvre qui force l’écoute, si l’on peut dire, qui se perçoit d’abord par le ventre plutôt que par l’oreille. Belle réussite, puisque, se gardant d’occasionner une énième dissection consciente, elle invite à la participation corporelle, ou pour mieux dire « vécue ». Nous l’observions dernièrement à propos de Zeus : la musique de Schœller [lire notre chronique du 25 septembre 2004] agit par sécrétion quasi minérale qui, plus encore avec Ganesha, ne saurait, après cette appréhension artistique, laisser inchangé notre rapport au monde.

Après l’entracte, l’EIC donne Droben schmettert ein greller Stein pour contrebasse amplifiée et ensemble (seul moment du programme à faire appel à la technique Ircam), écrit en 2001 par Michael Jarrell, dont on admire la complexe et passionnante facture. Frédéric Stochl livre des sons savamment produits, explorant les harmoniques précieuses qu’offre la longueur des cordes, apparaissant et se fondant tour à tour à un ensemble peu avare en effets de brouillages et en résonances percussives, pour une texture fort travaillée dont on goûte les couleurs subtiles.

Mais en manière de commencement et de fin : deux pièces du compositeur autrichien Georg Friedrich Haas. …Einklang freier Wesen…, écrite de 1994 à 96 pour l’ensemble KlangForum Wien, accumule dix voix solistes qui occasionnent une écriture d’ensemble faite de la juxtaposition de monologues, et de quelques passages à deux, trois ou quatre, havres chambristes dans un univers où les interprètes communiquent peu entre eux. D’où un sentiment de spirale interrompue à plusieurs reprises pendant l’écoute. Le titre de chaque phase s’inspire de l’Hyperion d’Hölderlin : « Je sens en moi une vie qu’aucun dieu n’a créée et qu’aucun mortel n’a engendrée. Je pense que nous sommes tous les fruits du hasard et que nous sommes animés simplement par l’envie d’être intimement liés à l’univers… Et que serait ce monde s’il n’était pas l’union de créatures libres ? S’il n’était issu des joyeux instincts des êtres vivants s’accordant en une vie commune ? Quelle serait sa raideur ? Quelle serait sa froideur ?... ».

Non exempte de quelques réminiscences de Nono, cette pièce rejoint, d’une certaine manière, la Monodie de 1998-99 (créée par l’Ensemble Moderne à Berlin) qui achève le concert. Les instruments voient leur discours solitaire contaminer l’ensemble, de sorte que peu à peu, celui-ci parvient à se tisser à travers des instants solistes qui jamais pourtant ne se pourraient comprendre comme des traits soulignés d’un accompagnement du tutti. On retiendra de cette soirée l’énergie, la force, la poésie de Ganesha que l’on souhaite pouvoir réentendre bientôt.

BB