Chroniques

par laurent bergnach

création de Shadows de Yann Robin
Chostakovitch et Ligeti par le Quatuor Tana

Biennale de Quatuors à cordes / Philharmonie, Paris
- 15 janvier 2016
Le Quatuor Tana joue Chostakovitch, Ligeti et Robin
© nicolas draps

Antoine Maisonhaute, Ivan Lebrun (violon), Maxime Desert (alto) et Jeanne Maisonhaute (violoncelle) forment l’actuel Quatuor Tana, lequel souhaite défendre le travail des contemporains, se distinguant par un grand écart entre la musique tout en finesse de Jacques Lenot [lire notre chronique du 28 septembre 2014 et notre critique du CD de l’intégrale des quatuors] et celle, plus violente, des saturationnistes [lire notre chronique du 6 décembre 2013]. Posons d’emblée la question qui fâche : est-ce la fréquentation assidue de ces derniers ou le fait d’entendre la formation une demi-heure après les lumineux Béla [lire notre chronique] qui donne l’impression d’un son parfois sourd, souvent âpre ?

Le programme s’ouvre avec György Ligeti, lequel laisse deux quatuors à la postérité, à la suite de deux mouvements écrits pour son examen de fin d’études à l’Académie Ferenc Liszt (Budapest). Écrit entre 1953 et 1954, puis révisé pour sa création viennoise par le Quatuor Ramor, le Quatuor n°1 « Métamorphoses nocturnes » (1958) reste encore proche de Bartók. Premier des quatre mouvements joués sans interruption, l’Allegro grazioso se montre inquiet et rageur, avant une pause lyrique du second violon, étape vers un Prestissimo à l’urgence rigolarde, puis un Andante tranquillo apaisé, diaphane. Tempo di valse offre une danse ivre qui mène à une réminiscence des climats précédents (angoisse, exaltation, etc.). Cette interprétation bénéficie des habituelles toux du public et vibrations de téléphone, agrémentée de quelques ronflements.

« Ce qui prévaut désormais dans la forme du son, dit Hugues Dufourt, c’est l’instabilité morphologique » (in Anamorphoses – études sur l’œuvre de Fausto Romitelli, Hermann, 2015). Cette formule nous revient à l’esprit lorsque Yann Robin, l’auteur d’Inferno [lire notre chronique du 13 juin 2012] et Scratches [lire notre chronique du 17 mai 2009], évoque dans Shadows, son troisième quatuor, « ces silhouettes qui se transforment et ses déforment […], éclatent en une polyphonie énergétique où les gestes instrumentaux se démultiplient, s’entrechoquent et s’interpénètrent » (in brochure de salle).

Avec humour, Antoine Maisonhaute invite à attacher sa ceinture pour affronter des turbulences qui explorent le verso de la note fondamentale. Il explique aussi quelques techniques utilisées – « balayage », « déchirure »… « tout ce qu’on n’a pas eu le droit de faire au conservatoire » – avant que saisisse la sauvagerie d’un violoncelle percussif, que relaie une kyrielle de couinements, grincements voire crépitements. Malheureusement, une frénésie omniprésente fait regretter que cet édifice apparaisse solide mais étouffant. La musique est-elle compatible avec le besoin de se boucher les oreilles ? [lire notre chronique du 23 février 2014] Autre question épineuse, à laquelle répondront sans doute oui les auditeurs ayant acquis, en fin de récital, le nouveau disque des Tana, regroupant Bedrossian, Cendo et Robin (Paraty).

Enfin, voici la contribution des musiciens à l’intégrale Chostakovitch initiée par cette septième Biennale : le Quatuor en fa # majeur Op.142 n°14 (1973). L’élégie initiale de l’Allegretto baguenaude assez longuement, avant d’évoquer une nostalgie sans réelle tristesse. Annoncé par un lyrisme intérieur et dépouillé, le duo violon-violoncelle domine l’Adagio, mené vers une fin délicate, comme en suspension. L’Allegretto conclusif ranime des fragments des mouvements précédents, en un patchwork d’une frénésie maîtrisée.

LB