Chroniques

par gilles charlassier

création de Soliloquies d’Edwin Hillier
Les Métaboles, Multilatérale et Quatuor Tana

œuvres de Bartók, Feldman, Mincek, Reich, Robin et Stucky
Abbaye de Royaumont
- 9 et 10 septembre 2017
© dr

Après un copieux apéritif électroacoustique dans le potager-jardin et une première session Voix Nouvelles [lire notre chronique], le Quatuor Tana conclut le menu musical du samedi par une mise en perspective des œuvres d'aujourd'hui avec un grand classique de la musique du XXe siècle.

La première partie de la soirée offre un contraste entre les âpretés du Quatuor n°3 d'Alex Mincek, concentré sur la kératine du timbre et des attaques, et l'invention renouvelée du Quatuor en ut majeur n°4 Sz.91 de Béla Bartók dont les Tana révèlent l'accomplissement de la structure spéculaire. Si l'engagement dans la première partition ne fait aucun doute, on retiendra néanmoins plus durablement la palette dévoilée dans la seconde. Non content de souligner la force d'inspiration du génie magyar, le plaisir des effets affleure avec une retenue sans pudeur inutile dans le suspendu Non lento troppo, quand les pizzicati du subséquent quatrième mouvement affirment une virtuosité dénuée d'exhibitionnisme, avant le retour du thème initial en l'ultime Allegro molto, où se laisse mesurer une interprétation qui sait élucider le canevas de l'ouvrage.

Après l'entracte, Edwin Hillier livre la commande passée par la Fondation Royaumont, sous l'impulsion des ayants-droit d'André Jolivet. Soliloquies s'aventure dans la fragmentation du son et les marges des cordes frottées avec une gourmandise sans doute moins austère que son résultat. Plutôt qu'une construction intellectuelle, la création s'abandonne à la sensation sonore déclinée en un phénomène mathématiquement discret. Le contraste avec le Quatuor n°3 d’Yann Robin, Shadows, également écrit pour les Tana [lire notre chronique de la création mondiale, le 15 janvier 2016], se révèle dans une performance extrêmement physique, jusqu'à la saturation, qui impressionne durablement l'écoute d'une pièce où le geste insiste sur la densité acoustique, submergeant alors l'inertie thématique. Conscients de l'idiosyncrasie de l'ouvrage, les interprètes mettent en avant la compacité de la matière, plutôt que la quête artificieuse d'un accomplissement formel au delà des intentions du compositeur.

Le lendemain, le week-end se referme dans le réfectoire des moines sur un programme élaboré autour de Rothko Chapel de Morton Feldman. Après un Steve Reich apéritif, Know what is above you, miniature ciselée par Les Métaboles où se reconnaît l'empreinte du minimalisme hypnotique, Whispers (hommage à William Byrd) et Three new motets in Memoriam Thomas Tallis de Steven Stucky font retentir une décantation archaïsante magnifiée par les lieux comme par la précision de la direction de Léo Warynski. Augmentés de la percussion d'Hélène Colombotti et du célesta confié aux doigts d’Elisa Humanes, ainsi que de l'alto de Maxime Désert, les effectifs invitent à un voyage aux confins de l'éther dans la création que Feldman avait imaginée pour l'installation picturale laissée inachevée par Rothko à Houston.

GC