Chroniques

par laurent bergnach

création de The forgotten city de David Hudry
œuvres de Jarrell, Maxwell Davies et Rihm

Cité de la musique, Paris
- 27 mai 2016
Le baryton Georg Nigl dans Eight songs for a mad king (1969) de Maxwell Davis
© luc hossepied

Si l’on apprécie souvent ses qualités dans l’opéra des XXe et XXIe siècles [lire nos chroniques du 8 octobre 2010 et 8 mai 2011], Pablo Heras-Casado ne néglige pas le concert instrumental, surtout s’il s’agit de création. Ayant dû renoncer à diriger ce soir l’Ensemble Intercontemporain, pour des raisons familiales, il est remplacé en dernière minute par son chef assistant, Gregor Mayrhofer, lequel poursuit une triple carrière de pianiste, chef et compositeur, après des études internationales (Düsseldorf, Munich, New York, Paris).

Deuxième œuvre au programme, Die Stücke des Sängers (Paris, 2001/2008) fut créé ici même, par la même formation et avec la même soliste à la harpe – Frédérique Cambreling. Dans un texte de l’époque, Wolfgang Rihm (né en 1952) se pose la question du devenir d’Orphée, une fois celui-ci démembré par les Ménades, furieuses compagnes de Dionysos : « les morceaux du corps du chanteur entonnent-ils un nouveau jeu sur les morceaux dispersés de la lyre ? […] Le déchirement et le fait d’être brisé sont-ils, peut-être, les signes distinctifs d’une élaboration de l’imagination ? Celle-là même qui engendre mesure et forme ? Je ne sais pas. Je commence donc à imaginer ». Ce qu’on retient de cette pièce de l’ancien élève d’Huber et de Stockhausen, autour du couple harpe et piano mis en vedette, c’est le contrôle de la vingtaine d’interprètes, aux percussions notamment (gongs entravés dans leur résonnance, roulements doux à la caisse claire, etc.).

Comme tant d’autres aux États-Unis, Buffalo, jadis pôle usinier majeur, est devenu une ville fantôme. Fasciné par des friches qu’il arpente ému, David Hudry (né en 1978) s’attelle à The forgotten city, occasion d’une nouvelle approche du timbre et du tempo. Des sons riches collectés, puis analysés par le programme informatique Orchids développé à l’IRCAM, lui permettent d’obtenir des informations objectives utilisées comme point de départ créatif. « En jouant avec la polyrythmie et les nombreux décalages d’accents, précise Hudry dans la notice de salle, j’ai cherché à évoquer les mécaniques incessantes des machines industrielles dont les pulsations se superposent au point de créer les textures rythmiques complexes ». Si la pièce offre quelques moments organiques et recueillis associés au souffle (flûte basse, trompette), l’essentiel repose sur des cuivres ronflants et une percussion énergique (batterie, métallophone, cloches-tubes, etc.) qui fascinent et lassent, en alternance, tout au long des vingt minutes d’exécution.

En début de concert – créée par Matthias Goerne, selon le site du compositeur, ou par Dietrich Henschel, d’après la Philharmonie de Paris –, une courte pièce de Michael Jarrell (né en 1958), Adtende, ubi albescit veritas (Salzbourg, 2013) permet à Georg Nigl de chauffer sa voix avec des crescendos délicats. Délaissant l’auteur de Cassandre [lire notre chronique du 27 octobre 2011], le baryton viennois retrouve une étrangeté abordée avec Wozzeck [lire notre critique du DVD] pour incarner le protagoniste d’Eight songs for a mad king (Londres, 1969). Fondé sur les paroles de George III (1738-1820), souverain britannique frappé d’aliénation durant sa dernière décennie, le monodrame de Peter Maxwell Davies (1934-2016) comporte huit étapes, mises en espace par Nigl.

Placée devant six musiciens dirigés, une estrade permet la découverte du chanteur en chemise de nuit, explorant avec aisance toute la tessiture (The sentry). Tout à tour drôle et inquiétant, Georg Nigl y installe un trône (The country walk) où la flûtiste est invitée, sur fond de sifflements et d’appeaux évocateurs (The lady-in-waiting). Le virtuose rame ensuite au bord de l’estrade (To be sung on the water), grimpe à nouveau sur le siège (The phantom queen), fait un tour dans le public, met une cape, esquisse une danse (The counterfeit), fracasse un violon de colère (Country dance) avant de sortir par le fond de la salle, en pleurs, suivi par un tambour (The review). C’est peu dire que cette demi-heure d’émotions extrêmes est trop vite passée !

LB