Chroniques

par vincent guillemin

création de Thunderstuck de Christopher Rouse
Alan Gilbert, Lisa Batiashvili, New York Philharmonic Orchestra

Avery Fisher Hall / Lincoln Center for the Performing Arts, New York
- 11 octobre 2014
Alan Gilbert et le New York Philharmonic Orchestra au Lincoln Center
© new york philharmonic

Si les grandes capitales européennes entendent chaque saison (ou presque) le New York Philharmonic Orchestra en tournée, écouter une formation dans sa salle, devant son public, qui plus est avec son directeur musical, permet de comprendre de nombreuses données relatives au son et au jeu. Proposé quatre soirs dans le même programme, le quinze mille sept cent quatre-vingt quatrième concert du NYPO associe une création contemporaine du compositeur en résidence Christopher Rouse à la classique Cent troisième de Haydn et au romantique Concerto pour violon de Brahms, le tout dirigé par Alan Gilbert.

D’une dizaine de minutes, Thunderstuck, l’œuvre très accessible de Rouse, poursuit un style érigé par George Gershwin et développé ensuite par Leonard Bernstein ou William Schuman, fait de timbres très colorés et de rythmes vivaces. Agréable à l’écoute, elle n’innove pas beaucoup comparée aux compositions des créateurs précités, et n’a de vrai mérite qu’au crescendo final, lorsque l’influence rock de Thunder Island de Jay Ferguson (1978) prend le dessus. Elle reçoit toutefois un accueil chaleureux, certains auditeurs avouant que « pour une fois, nous avons aimé la pièce d’un compositeur encore vivant ». Elle montre avec quel aisance le New York Philharmonic Orchestra et Alan Gilbert conduisent l’ouvrage. La brillance des timbres, plus particulièrement des cuivres, donne une typicité propre à cette phalange, magnifiée par l’acoustique clair, si évidente, de l’Avery Fisher Hall dont le parterre rappellerait presque un auditorium universitaire, tandis que le coffre en bois et les pièges à sons extrêmement travaillés du cadre de scène étalent l’unicité sonore.

Donnée en formation classique, la Symphonie en mi bémol majeur, Hob.I: 103 Paukenwirbel de Joseph Haydn laisse apparaître une tout autre musique que celle connue en Europe pour ce compositeur. Loin de rechercher le moindre angle baroqueux, Alan Gilbert y développe les thèmes avec éclat, chaleur et précision, dans une lecture où, avant de penser à Beethoven ou au dernier Schubert, l’on croit d’abord entendre Mahler, voire Vaughan Williams. Déconcertante pour certains, cette vision valide une originalité et une indépendance interprétative nord-américaine. D’interprètes au niveau absolument impeccable, retenons les bois, surexposés bien qu’ils soient presque invisibles du public, aucun instrumentiste n’étant surélevé par rapport aux autres sur le plan de scène parfaitement plat.

Joué après l’entracte, le Concerto pour violon en ré majeur Op.77 de Johannes Brahms trouve rapidement ses limites, malgré la grande qualité artistique de chacun. Le jeu de Lisa Batiashvili propose ni profond lyrisme ni l’inspiration personnelle qu’on lui connait, et sa trop grande proximité stylistique avec l’orchestre ne produit pas d’effet de rupture intéressant, comme le laisse entendre son enregistrement avec Thielemann et la Staatskapelle Dresden. Là aussi, la direction d’Alan Gilbert, toujours si précise, achoppe au fait qu’aucune voix nouvelle n’est proposée, ni modernité ni classicisme. Soulignons une nouvelle fois l’excellence des instrumentistes, avec une mention pour le premier clarinettiste, le premier flûtiste et la première violoniste, grâce auxquels cette interprétation de répertoire jamais n’ennuie.

VG