Chroniques

par jérémie szpirglas

création du Concerto pour violoncelle de Marc Monnet
Eliahu Inbal et l’Orchestre Philharmonique de Radio-France

Salle Pleyel, Paris
- 17 septembre 2010
© olivier roller

Cette année marque le bicentenaire Schumann auquel les orchestres et chœurs de Radio-France rendent hommage jusqu’au 14 octobre par une série de concerts : Schumann à la folie. Cet hommage n’attire pas autant les foules que les grands rendez-vous chopiniens qui ont jalonné la saison dernière : ce soir, la salle est presque vide pour le premier de ces concerts, finement intitulé Rencontres au sommet, parce qu’il met en avant la place des Alpes dans l’imaginaire romantique du compositeur. Pour illustrer le propos, on n’aura – hélas ! – droit qu’à une bien courte sélection d’extraits de Manfred Op.115, musique de scène composée pour la pièce de Byron, sommet du romantisme alpestre. Sous la direction habile d’Eliahu Inbal, l’Orchestre Philharmonique de Radio-France entonne l’Ouverture avec un souffle véritablement romantique. Sur un ton un brin traînant, l’héroïsme se mue peu à peu en tragique. Mais le soufflé retombe bien vite : mise en place et justesse douteuses, notamment chez les bois, et contrastes dynamiques incertains se succèdent. En revanche, l’Entracte baignée qu’elle est de son petit parfum pastoral, leur sied davantage. Quant au magnifique solo de cor anglais du Ranz des vaches, il est remarquablement interprété par Stéphane Suchanek qui y apporte une sensibilité et un soin rares. Une sautillante et lumineuse Apparition de la fée des Alpes vient clore cette petite excursion sur une note d’inachevé qui laisse un goût de trop peu.

Quelle idée de finir sur une telle queue de poisson ? Mais Schumann n’est qu’un prétexte. Sous couvert de le considérer dans sa perspective historique, sa présence ici sert en fait une création de Monnet et l’imposante Symphonie alpestre. Quoi qu’on en pense dans l’absolu, cette manière de construire un programme paraît déplacée dans le cadre d’un hommage.

Le Concerto pour violoncelle « Sans mouvement, sans monde »L’adieu au monde », à Robert Schumann) de Marc Monnet, en création mondiale ce soir, ne sera d’ailleurs pas à la hauteur, malgré tout l’enthousiasme et les trésors de musicalité déployés par le violoncelliste Marc Coppey. S’ouvrant lui aussi sur l’évocation nocturne d’un paysage alpestre — ou est-ce seulement qu’on n’arrive pas à se détacher des images esquissées par Manfred ? —, le concerto s’installe d’emblée dans la durée, sans qu’on ait jamais le sentiment qu’il commence réellement. Désireux de sortir du paradigme du concerto, l’auteur en abandonne tous les ingrédients : à de très rares exceptions (comme cet Intermède solo glissé entre le deuxième et le troisième mouvement), on n’y retrouve ni articulation concertante entre masse orchestrale et individualité du soliste, ni démonstration virtuose. La forme aussi est visée, mais, si la volonté de fragmenter le discours est louable et souvent intéressante (chaque mouvement est ainsi ponctué d’Esquisses et d’Ersatz), il n’aboutit qu’à un aplatissement du tout. Idem pour l’écriture de violoncelle, au point qu’on se demande ce que le soliste fait là… de même que la référence à Schumann.

Après cette première partie en demi-teinte, l’Orchestre Philharmonique de Radio-France retrouve ses marques dans l’Alpensinfonie Op.64 de Richard Strauss, partition qui sonne facilement et procure bien du plaisir aux musiciens. Un peu trop d’ailleurs — Eliahu Inbal en oublierait presque de brider leurs élans. Si les passages chambristes sont particulièrement soignés, la masse orchestrale est parfois mal dégrossie, manquant de finesse et de nuances. Ainsi de l’interminable ascension vers le sommet que décrit Strauss, lui-même grand amateur de randonnée. Ce n’est plus une marche, c’est une course effrénée, haletante. Toute la montée se fait dans une urgence, une exaltation pressée. Il faut attendre le Sommet et sa Vision pour prendre enfin un peu de temps. Après le déchainement libérateur de la Tempête, la redescente se fait sans hâte, mais non sans une lourdeur un peu pompeuse à laquelle Inbal se prête avec un brin de complaisance.

JS