Chroniques

par bertrand bolognesi

création française de Secret forest de Dai Fujikura
Susanna Mälkki à la tête de l'Ensemble Intercontemporain

Musica / Cité de la musique et de la danse, Strasbourg
- 3 octobre 2009
le compositeur japonais Dai Fujikura photographié par Astrid Ackermann
© astrid ackermann

Il fallait bien une partition aussi décoiffante que Laborintus II pour conclure cette édition particulièrement énergique de Musica. Ceux-là mêmes qui la donnaient quatre jours plus tôt à Paris, précédée de l'étonnant Barbarismes (Trilogie de l'an mil) de Pierre Jodlowski, dynamisent l’écoute dans les mots d'Edoardo Sanguineti et les situations imaginées par la musique de Luciano Berio. Le comédien Fausto Perinti prend d'emblée le pouvoir, avec la complicité de Susanna Mälkki, plus « électrique » que jamais à la tête de l'Ensemble Intercontemporain qui transgresse les aériennes interventions des voix d'Axe 21.

La première partie de la soirée livre une interprétation enthousiaste d’Art of Metal III, composée il y a deux ans par Yann Robin pour clarinette contrebasse métal, ensemble et électronique. Quel punch ! L'écriture n'est pas seulement puissante et vive, encore invente-t-elle sans cesse tout en explorant, en connaissance de cause, le matériau qu'elle initia. Voilà un excès – dans le meilleur sens du terme – jovialement sauvage qui vous épingle au fauteuil ou, au contraire, vous en fait bondir (selon les gens). Rien d'attendu, rien d'entendu et, cependant, rien d'incongru, même lorsque l'auteur pousse la clarinette jusqu'à l'aboiement.

En ouverture, nous découvrions, face à nous, neuf cordes sur scène, tandis que huit vents investissaient la salle, côté public. Secret forest, donné en création française, commence par une partie de cordes aux échanges toniques et souples, à la sonorité presque tendre. Les pôles instrumentaux des gradins suspendent le trait après quatre minutes, en un déroutant jeu d'échos, de relais et de distances, aussi bref qu'enveloppant, bientôt ponctué avec régularité par un retour essentiellement rythmique des cordes.

Si la culture japonaise considère volontiers comme harmonieux les sons de la nature, Dai Fujikura [photo], quant à lui, ne partage pas ce point de vue. Parlant des oiseaux ou des insectes qu'il entend en forêt, il confesse avoir envie de leur demander « Vous ne pourriez pas émettre un son un peu plus joli ? Peut-être varier un peu ? »… Il avoue préférer une appréhension de la nature par le biais de reportages télévisuels qui l'autorisent à l'idéaliser à sa façon.

D'une texture infiniment délicate, Secret forest tour à tour nous enveloppe dans l'obstination d'un motif diversement conjugué ou nous confronte au désert (dans son troisième tiers : partie nue de basson), avant de conclure les grouillements épars en un chatoyant vrombissement que rehaussent les bâtons de pluie. Une pièce que l'on espère réentendre bientôt.

BB