Chroniques

par hervé könig

création française de Suite Pastorale de Gérard Pesson
Tito Ceccherini dirige l’Orchestre Philharmonique de Radio France

Festival d’automne à Paris / Auditorium, Maison de Radio France
- 17 novembre 2017
création française de "Suite Pastorale" de Gérard Pesson par Tito Ceccherini
© c. daguet | éditions henry lemoine

C’est un concert en forme de double enveloppe que joue ce soir l’Orchestre Philharmonique de Radio France, dans le cadre du Festival d’automne à Paris. Luigi Nono en ouverture et en conclusion, avec des pièces à l’effectif très différent. Au cœur du programme, deux suites construites à partir d’opéras : Pelléas et Mélisande de Leinsdorf d’après Debussy, enfin Pastorale de Gérard Pesson d’après son propre ouvrage [lire notre chronique du 18 juin 2009].

Curieusement, le concert commence par une page chambriste – c’est une singularité de la saison 2017/18 à Radio France que de proposer ces incursions dans les programmes symphoniques. …sofferte onde serene… (1976) est un opus avec lequel Nono tentait de consoler son ami le pianiste Maurizio Pollini qui venait de traverser une période de deuils répétés. Sur scène, l’instrumentiste au clavier dialogue avec un double, enregistrement d’une partie qu’il a lui-même enregistrée et qui est diffusée par haut-parleurs pendant l’exécution. Les ondes sereines furent minutieusement travaillées à l’Experimental Studio des SWR (Freiburg) – Joachim Haas est ici chargé de la diffusion du matériau virtuel. La jeune Julia Den Boer gagne le plateau et livre une interprétation particulièrement douce d’un parcours traversé de cloches et d’embruns, comme le décrivait le compositeur vénitien.

Le 24 avril 2016, Emilio Pomarico créait Suite Pastorale, à la tête du Westdeutscher Rundfunk Sinfonieorchester Köln (la radio ouest-allemande en était le commanditaire) ; c’était aux Wittener Tage für neue Kammermusik. Nous assistons aujourd’hui à la première française de l’œuvre de Pesson. L’original, qui naquit à Stuttgart en 2006 avant d’être présenté au Théâtre du Châtelet trois ans plus tard, fut écrit sur un livret du musicologue Martin Kaltenecker à partir de L’Astrée d’Honoré d'Urfé (1607/27) [lire notre entretien avec le compositeur]. Onze épisodes jalonnent ce remake d’environ vingt-cinq minutes, au fil des amours de l’héroïne avec le berger Céladon. Au pupitre du Philhar’, le brillant chef milanais Tito Ceccherini, fidèle au répertoire d’aujourd’hui [lire nos chroniques du 23 mai 2007, du 30 janvier 2012, du 18 mars 2013, du 18 avril 2014, des 2 octobre et 27 novembre 2015, enfin du 14 février 2016].

Une Fanfare austère introduit ce moment qui dialogue avec la grande littérature d’autrefois. Pas de grandiloquence, pourtant, la manière de Pesson, bien qu’elle paraisse évoquer pour rire une certaine scansion stravinskienne, garde le sourire. Ouverture hésite à remplir le rôle attendu, comme dans un cache-cache à qui-fait-quoi où l’on apprécie la sensualité colorée des cordes. Coral (sur le ruban) appelle des flûtiaux de paysages tendres. Musette tangue sur des réminiscences orientales assez savoureuses. Des sonorités inédites, toujours raffinées, portent le sourire sur les lèvres des auditeurs. Sommeil de Céladon, Interlude en forêt, Chanson d'Hylas, Branle du Poitou et Sommeil d'Alexis se succèdent dans une couture habile. Les cliquetis répétitifs d’Eden machine couronnent cette suite très ludique pour petite formation.

Après l’entracte, retour de Ceccherini pour donner les interludes de Pelléas et Mélisande réunis en suite symphonique par le chef allemand d’Erich Leinsdorf (1912-1993) à la fin des années trente. L’année même des publications, l’œuvre en cinq mouvements fut gravée par son arrangeur, avec le Cleveland Orchestra (février 1946). Si Leinsdorf l’a beaucoup jouée, on doit aussi à Claudio Abbado un enregistrement avec les Berliner Philharmoniker. On se surprend, en l’écoutant aujourd’hui, à entendre, voire à chantonner intérieurement, les parties vocales absentes. Pour finir, on retrouve Nono, mais près d’une quinzaine d’années avant …sofferte onde serene… Le jeune gendre de Schönberg, disparu une décennie plus tôt, convoque sur scène trois flûtes, trois hautbois, trois clarinettes, trois bassons, quatre cors, autant de trompettes et de trombones, un percussionniste, seize violons en deux sections, huit altos, six violoncelles et six contrebasses, dans Canti di vita e d'amore (1962). Avec eux, un ténor et un soprano, ici Peter Tantsits et Anu Komsi. Trois sources d’inspirations bien distinctes préludent à ses chants de vie et d’amour.

Pour commencer, Der Mann auf der Brücke de Günther Anders (1959), d’où vient Sul Ponte du Hiroshima, où il est, naturellement, question de destruction atomique, comme le souligne adroitement le chef italien en profitant au maximum de la terrible démultiplication des strates orchestrales, ondes de choc qui n’en finissent plus d’intoxiquer le mouvement. L’élasticité vocale invraisemblable de la chanteuse finlandaise sert parfaitement ce passage [lire nos chroniques du 22 septembre 2007, du 3 octobre 2009, du 20 septembre 2012, des 19 avril et 12 décembre 2013, ainsi que du 6 avril 2014]. Lamento surgi de la nuit des temps, le long chant a cappella central vient du poète espagnol Jesús López Pacheco qui dénonce la barbarie du franquisme. Nono greffe à cette réalité l’actualité française en la personne de Djamila Boupacha, Algérienne interrogée, torturée et violée par les soldats français, et même condamnée à mort par notre État au printemps 1961, dans le cadre de la répression des actes de rébellion – elle sera graciée trois mois avant la création mondiale de Canti di vita e d'amore (Edimbourg, 22 août 1962). Dans l’émotion, la voix très projetée de Peter Tantsits enchaîne, avec les percussions, Tu de Cesare Pavese, vers de rédemption et d’espoir où s’enroule ensuite la colorature. Un moment poignant.

HK