Chroniques

par katy oberlé

création mondiale d’A Shadow d’Ēriks Ešenvalds
BBC Proms Youth Choir, World Orchestra for Peace, Donald Runnicles

Erin Wall, Judit Kutasi, Russell Thomas et Franz-Josef Selig
The Proms / Royal Albert Hall, Londres
- 21 juillet 2018
Donald Runnicles joue la Nueivème de Beethoven aux Proms de Londres
© jeff roffman

Pour célébrer la fin de la Grande Guerre, The Proms a commandé, pour son BBC Proms Youth Choir, une œuvre au compositeur letton Ēriks Ešenvalds (né en 1977). Elle s’appelle A Shadow, titre qu’elle emprunte à un sonnet du poète nord-américain Henry Wadsworth Longfellow (1807-1882). Elle est conçue pour les jeunes voix du chœur britannique, placées sous la direction de Simon Halsey. Selon l’esthétique des musiciens baltes, il s’agit d’une pièce renouant avec la tonalité et qui affirme une démarche méditative. En huit minutes, elle évoque le pessimisme d’un père pour l’avenir de ses enfants. Des clochettes interviennent au sein du groupe, de plus en plus perceptible au fur et à mesure d’un diminuendo très précisément dirigé.

Cette page spécialement imaginée comme un message de paix est suivie par la Sinfonia da Requiem Op.20 de Benjamin Britten, jouée par le World Orchestra for Peace. Elle fut écrite en 1940 pour répondre à une commande de l’Empereur du Japon qui, finalement, l’a rejetée. C’est donc une œuvre qui nous vient de la Seconde Guerre mondiale. Donald Runnicles, le chef écossais actuellement en poste à la Deutsche Oper de Berlin [lire nos chroniques du 25 janvier 2015, des 13, 14, 15 et 17 avril, puis du 8 octobre 2017], en donne une interprétation sensible et grave. Commencé dans le recueillement, Lacrymosa (Andante ben misurato) amplifie sa marche forcée et crie bientôt sa douleur. La délicatesse des flûtes commence l’Allegro con fuoco, beaucoup plus clair, qui porte le titre Dies irae – il ne faut donc pas se fier à son côté plus sympathique, c’est une « danse de mort », disait le compositeur, qui ressemble bien aux déclarations de guerre personnelle que l’on peut entendre dans certains de ses opéras (The rape of Lucretia, Billy Budd, etc.). L’exécution de ce soir est preste, urgente comme un signal d’alarme. Le chef accorde à sa conclusion le mystère nécessaire. De là s’élève à proprement parler l’Andante molto tranquillo mahlérien du Requiem aeternam, doux et paisible comme un champ de cadavres éventrés par les corbeaux. On est surpris qu’un créateur de vingt-sept ans fît preuve d’une telle maturité.

Souvent employée à fêter les grands évènements européens, comme, par exemple, la réunion des deux Allemagne après la chute du mur de Berlin il y aura bientôt vingt ans, la Symphonie en ré mineur Op.125 n°9 de Beethoven s’inscrit naturellement dans ce programme pacifiste. Aux forces du World Orchestra for Peace s’ajoutent maintenant celles du BBC Proms Youth Choir et quatre solistes vocaux. Une curieuse timidité domine le début du premier mouvement, le chef mettant surtout l’accent sur les bois quand on attend l’hésitation plutôt énervée des cordes. Lorsque les timbales s’expriment, tout paraît trop brutal, de ce fait. Après la reprise et dans son développement, on comprend mieux sa démarche, plus classique que romantique, mais sans parvenir à y adhérer vraiment. Par contre, le côté très funèbre de la Coda nous parle plus. Surprise : le public applaudit déjà !

Le Molto vivace convainc davantage. Dans un corps light, il s’accommode très bien de la clarté choisie par Runnicles. Tonique comme il faut, il accède aussi à un bon relief qu’on écoute avec une attention redoublée. Les hautbois et le basson du trio apportent une lumière véritablement mozartienne. Le crescendo apporte déjà la joie, comme première part d’un gâteau bien agréable. Dommage, de petits décalages entre les pupitres sabordent le da capo. Cela n’empêche pas les Londoniens d’applaudir à nouveau ! Après un petit réglage de l’orchestre, l’Adagio molto e cantabile, sonorité ronde et geste fluide, s’avère tout de suite captivant. Ici, il prend l’allure d’une danse triste, noble vraiment touchante – personne n’applaudit, tiens…

Grosse déception, le début Presto du Finale n’est pas en place et sonne franchement creux. Ça s’améliore avec les soli de bois, mais les trop nombreux rubati de cette introduction, loin d’inventer du suspens, paraissent artificiels. La première exposition du thème, aux contrebasses, est assez bien servie, sans trop traîner. Après le bis de grand accord, Franz-Josef Selig fait son entrée… loupée : l’aigu ne tient pas, le vibrato met à mal l’intonation. Pendant la strophe Allegro qui suit, la basse allemande perd le tempo. Bien commencée par le ténor, le premier quatuor vocal semble incertain. Puis « Froh, wie seinen Sonnen fliegen… » prouve l’efficacité de Russell Thomas (ténor), très en voix. La fiabilité du soprano Erin Wall et du mezzo-soprano Judit Kutasi est exemplaire, de même que la vaillance et la précision du chœur. Évidemment, la dernière section finit par fonctionner et emporter toute l’assistance… mais ce n’était pas une version impérissable, ne mentons pas.

KO