Chroniques

par gilles charlassier

création mondiale de Futari Shizuka de Toshio Hosokawa
Kerstin Avemo, Ryoko Aoki, Ensemble Intercontemporain, Matthias Pintscher

Festival d’automne à Paris / Cité de la musique
- 1er décembre 2017
création mondiale de Futari Shizuka de Toshio Hosokawa
© junichi takahashi

À l'inverse de la plus recensée intégration de formes et d'inspirations extra-européennes dans la musique occidentale, c'est du point de vue de l'Extrême-Orient que le programme proposé par l'Ensemble Intercontemporain fait entendre la synthèse entre deux traditions, incarnée par Tōru Takemitsu et Toshio Hosokawa, avec la création d'une commande passé à ce dernier par l'institution parisienne : Futari Shizuka, The Maiden from the Sea.

La soirée s'ouvre avec une courte pièce de ce dernier, Atem-Lied (1997) pour flûte basse. Emmanuelle Ophèle exalte avec une précision virtuose l'encyclopédique variation d'attaques et de souffles, telle un alambic distillant la nudité du son à partir de l'idiome instrumental. Si la page prend des allures d'étude, sa technicité ne se contente jamais de l'académique ; elle exsude une poésie rigoureuse et austère, mais non desséchée, que l'on pourrait décrire comme une ivresse de sensualité intellectuelle.

Un tel parti pris se reconnaît également dans la lecture des deux œuvres de Takemitsu qui répondent à cette mise en bouche, sans pour autant coïncider exactement avec tant d'à-propos avec le génie d'Archipelago S. (1993) et And then I knew ‘twas Wind (1992). Pour ensemble, le premier opus déploie une souplesse ondulatoire qui vivrait davantage dans une approche plus symphonique. Dirigé par Matthias Pintscher, le résultat restitue plus les notes que ce qu'il y a entre, et qui, sans se figer dans un néoclassicisme, détermine la séduction immédiate de la partition. L'écueil se révèle moins perceptible dans le second morceau, trio pour flûte, alto et harpe. On y reconnaît l'intemporalité onirique, puisant à la source debussyste, sans se raidir dans le pastiche, même si se laisse deviner chez les interprètes une nostalgie d'acrobaties d'avant-garde auxquelles reste indifférente l'économie de Takemitsu.

Après l'entracte, on assiste à la première mondiale de Futari Shizuka, The maiden from the sea d’Hosokawa, sur un livret conçut par le compositeur à partir d'une pièce d'Oriza Hirata, lequel met en espace l'opéra en un acte, de manière décantée sur le plateau de la Cité de la musique. On avait déjà salué le travail du musicien japonais, établi en Allemagne, qui sait transsubstantier les sirènes de l'actualité dans le genre lyrique, à l'exemple de Stilles Meer, inspiré par la catastrophe de Fukushima, et étrenné par la Staatsoper de Hambourg l’an dernier [lire notre chronique du 27 janvier 2016]. Cette fois, le drame des réfugiés nourrit l'ouvrage. Pour autant, il ne s'agit nullement de quelque facilité bien-pensante : la trame d’Hirata croise le destin d'une migrante abandonnée sur une plage de Méditerranée, et qui vient sans doute de perdre son enfant, et le fantôme de Dame Shizuka, amante d'un seigneur au XIIe siècle qui vit sa progéniture assassinée. L’intrigue offre l'opportunité idéale pour superposer le chant de Kerstin Avemo, d'une indéniable justesse dans les affects, et la gutturale étrangeté du théâtre nô confiée à Ryoko Aoki [photo], évocation d'un temps lointain fusionnant peu à peu avec le présent du rivage hostile. La dialectique initiale entre les deux personnages s'émousse pour se fondre dans une fascination onirique qui n'évite pas, pour d'aucuns, le reproche de statisme, induit par une certaine inertie des effets orchestraux. Entendu comme théâtre musical, le monodrame sera sans doute apprécié à sa plus juste mesure.

GC