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Chroniques
création française de Spira d’Unsuk Chin
Lise Davidsen chante Quatre Lieder Op.27 de Richard Strauss
Fidèle à sa tradition du programme donné à deux reprises, le mercredi et le jeudi soir, l’Orchestre de Paris fait sa rentrée dans la nouvelle saison 2021/22 sous la direction du jeune Klaus Mäkelä, son directeur musical à partir d’aujourd’hui. C’est avec une première française que la formation cinquantenaire ouvre la soirée, Spira de la compositrice coréenne Unsuk Chin [lire nos chroniques du 14 juin 2010, du 15 avril 2011 et du 10 janvier 2012, du portrait que lui consacrait en 2015 le Festival d’automne à Paris – épisodes 1, 2, 3, 4 et 5 –, ainsi que du CD de Mei Yi Foo (Odradek)], œuvre de vaste effectif, conjointement commandée par les City of Birmingham Symphony Orchestra, Sinfonieorchester des Norddeutschen Rundfunks Hamburg, Los Angeles Philharmonic, Stockholms Kungliga Filharmonikerna et Orchestre de Paris, et dont la création mondiale fut effectuée par Mirga Gražinytė-Tyla à Los Angeles le 5 avril 2019.
Écrit en 2019, ce concerto pour orchestre (tel qu’indiqué) prend inspiration de « la spirale logarithmique que le mathématicien et physicien Jacques Bernoulli avait qualifiée de spira mirabilis (on peut observer cette spirale merveilleuse dans la forme de certains coquillages comme le nautile ou dans la disposition des graines de tournesol) », précise l’auteure (brochure de salle). Il nous arrive des confins du silence, dans la sonorité feutrée des vibraphones caressés par un archet, soumettant l’écoute au suspens d’une installation tranquillement intrigante qui gagne les percussions, le cordier du piano, une harpe farouchement glissée, jusqu’à donner naissance à une sorte de continuo ténu dont Unsuk Chin [photo] détient le secret. La virtuosité de l’écriture des timbres rencontre ici un soin minutieux, Mäkelä s’attachant rigoureusement à chaque alliage dans la densification progressive d’une pièce intense dès sa naissance. Avec une maestria remarquable, il en maintient une perception précise sans jamais épaissir la sonorité. De part et d’autre de l’espace orchestral, de stimulants rebonds opèrent énergiquement et témoignent d’un grand savoir-faire. Le flottement relatif des bois, les appels de cuivres comme divers vrombissements expressifs mènent à l’ultime redite des premiers instants, la spirale réenroulant sa vague dans les archets liminaires, via un scintillement qui fascine.
Plongée dans un temps plus ancien, avec l’Opus 27 de Richard Strauss, composé en 1894 en cadeau de noces pour Pauline de Ahna qui l’épouse le 10 septembre de cette année-là – nous voilà donc à peine quelques jours plus loin de l’anniversaire de cette première version pour voix et piano. L’illustre bavarois réalise l’orchestration du deuxième et du quatrième de ces Lieder trois ans plus tard, s’attelant au premier après cinquante ans, la guerre finie – « ces temps plein de violence mettent en peine le cœur et l’esprit », selon le poème d’Henckell –, sans jamais plus se pencher sur le troisième dont il revint au chef d’orchestre Robert Heger (1886-1978) de réaliser l’adaptation, en 1929. Wagnérienne en diable, l’instrumentation de Ruhe, meine Seele laisse se déployer le soprano coloré de Lise Davidsen qui affirme une projection méticuleusement contrôlée. On est moins convaincu, en revanche, par la fragmentation malencontreuse du phrasé. Cäcilie demeure ce soir la plus probante interprétation de ces pages, grâce au legato somptueux de l’artiste norvégienne [lire notre chronique de Tannhäuser], déroulé avec un naturel confondant. Il n’en va guère de même d’Heimliche Aufforderung, trop directement livré (par-delà son titre même…), voire rutilant d’une sorte de vulgarité qu’on n’y attend pas. Dans la foulée, Morgen ne convainc pas.
À l’automne 1889, Gustav Mahler crée à l’Opéra de Budapest, où il est en poste de 1888 à 1891, sa Symphonie en ré majeur n°1 à laquelle il apporterait quelques révisions durant toute la décennie suivante, renonçant bientôt à tout un mouvement, de même qu’il s’opposerait farouchement, à partir des retouches en vue de l’audition hambourgeoise de 1897, au titre Titan que lui avait accolé son éditeur. Le chef finlandais maintient son approche du premier mouvement (Langsam, Schleppend. Wie ein Naturlaut – Immer sehr gemächlich) dans une réserve assez noble, parfois proche du péché de plasticité dans le soin amoureux des timbres. Aussi fait-il grandement apprécier l’indéniable hausse de niveau de l’Orchestre de Paris, depuis la dernière fois où il nous fut donné de le pouvoir entendre en salle [lire notre chronique du 11 septembre 2019], dans la perfection des traits solistiques et l’éminente complicité des musiciens. Bien qu’ainsi confirmées [lire notre chronique du 13 juillet 2021], de si belles qualités ne suffisent pas à construire sur la longueur ce chapitre de la symphonie, d’ailleurs étiré avec trop de gourmandise. À l’instar de sa lecture de Strauss, Klaus Mäkelä [lire notre chronique du 20 janvier 2021] dépose sur un plateau de fast food l’épisode suivant (Kräftig bewegt, doch nicht zu schnell) qui fait entendre l’excellence des huit cornistes, et dont le trio (Recht gemächlich) accuse les violons de quelque sécheresse. Le dosage sainement prudent de Feierlich und gemessen, ohne zu schleppen hérite de la fort belle introduction d’Ulysse Vigreux à la contrebasse solo, dont l’aigu tendre, soyeux et simplement triste comme un rai sur la tourbe au matin, touche au cœur. Plutôt réussie, cette troisième partie reste un îlot, Stürmisch bewegt manquant de beaucoup la tempêteuse tragédie finale – sans doute n’est-il pas contrindiqué de garder en tête les amours malheureuses de Mahler avec Marion von Weber, à l’origine de l’œuvre, aux antipodes de cette approche hédoniste.
BB