Chroniques

par bertrand bolognesi

cycle Mahler | Gergiev : Symphonies n°1 et n°5
Orchestre du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg

Salle Pleyel, Paris
- 12 décembre 2010
© dr

S’il fallut constater hier une Résurrection peu convaincante, la suite de ce cycle Mahler ne s’avère guère plus probante cet après-midi. Certes, le ton est nettement plus posé, dans sa première partie, en tout cas, relativement contrôlée. Au Langsam initial de la Symphonie en ré majeur n°1 sont accordées des couleurs chatoyantes par des bois d’une indéniable qualité. Il semble que les cordes se soient reprises, de même que Valery Gergiev qui donne ce premier mouvement sans effet de manches, dans une articulation plus précise, laissant venir en toute quiétude le Lied que l’on sait. L’enthousiasme est jugulé dans une maîtrise calme, confiante, profitant d’une certaine onctuosité du phrasé sans en abuser trop jamais.

Voilà qui commence bien, pensera-t-on… si les inexactitudes criantes des cors ne venaient tout gâcher dès avant la fin du premier épisode. Que dira-t-on d’un second mouvement introduit par un improbable unisson de contrebasses, malgré le bondissement sagement tenu en laisse qui infléchit l’exécution ? Tout le problème est là : maestro Gergiev tente de porter haut ses interprétations mahlériennes mais dispose cette fois d’un orchestre qui n’a pas le niveau requis. C’est un paradoxe : il s’agit pourtant bien de son orchestre, celui du Théâtre Mariinski, mais c’est lorsqu’il s’exprime à la tête du London Symphony Orchestra, comme en témoignait une Septième d’une tout autre mouture [lire notre chronique du 9 mars 2008], que le chef russe fait mouche. À y regarder de plus près, on notera cependant qu’une grande partie des instrumentistes a été renouvelée. Avec à sa tête une star internationale qui n’a guère le temps de la faire travailler, la formation pétersbourgeoise ne suit plus, tout simplement, ses nouveaux éléments ne connaissant vraisemblablement pas plus leur patron que ceux du LSO dont il est le chef depuis 2007. C’est aussi que le talentueux grozny manie le sceptre du World Orchestra for Peace (fondé en 1995 par Solti), phalange ô combien prestigieuse avec laquelle il donnait cet été des Quatrième et Cinquième à couper le souffle [lire notre chronique du 6 août 2010]…

Àl’excellence des clarinettes, hautbois, flûtes et bassons répond l’indigence des cors et des trombones, des cordes soumis aux courants d’air comme aux changements d’humeur. Dans un tel contexte, Valery Gergiev a beau faire, rien ne va plus. Certes, la progression polyphonique du troisième mouvement s’avère délicatement construite, son troisième thème bénéficie d’une gracieuse lumière et d’un ostinato de harpes d’une rondeur caressante ; certes, un rare recueillement porte haut le centre du dernier épisode de cette Première. Mais le chef jamais ne réussit à faire se confondre son rêve et la réalité de l’orchestre.

Sur les premières mesures de trompette solo de la Symphonie en ut # mineur n°5, on aura cru au miracle. L’entrée des autres cuivres, puis de tout l’orchestre, cloue trop tôt l’écoute en enfer. Une certaine cohérence du propos est de retour dans le Stürmisch bewegt, directement plongé dans la tourmente, avec un impressionnant relief, volontiers théâtral. L’épaisseur rageuse du Scherzo ne laisse pas indifférent, de même qu’un Adagietto dignement entonné, rendant presque digestes les quelques approximations perceptibles çà et là. Pourtant, le Rondo s’enferre plus tragiquement encore dans les contingences évoquées, avec son fugato de violoncelles proprement crasseux, achevant la catastrophe.

On le sait : avec l’imprévisible Gergiev, rien n’est joué d’avance. Aussi peut-on encore espérer en des Sixième et Quatrième d’une autre tenue, demain soir…

BB