Chroniques

par bertrand bolognesi

cycle Miroslav Srnka – dernier épisode
Salzburger Bachchor, Mozarteumorchester Salzburg, Elias Grandy

Mari Eriksmoen, Michaela Selinger, Peter Sonn, Matthias Winckhler
DIALOGE / Mozarteum, Salzbourg
- 3 décembre 2017
Elias Grandy dirige le Requiem de Mozart en fin de DIALOGE Miroslav Srnka
© ism | wolfgang lienbacher

Dimanche, dix-huit heures. Les derniers concerts du cycle passionnant consacré par DIALOGE au compositeur Miroslav Srnka touche à sa fin. Le chef andalou Pablo Heras-Casado étant souffrant, il est remplacé par le tout jeune Elias Grandy, dans la troisième œuvre au programme. Quant à la première à nécessiter direction, elle sera donnée sous celle de Johannes Kalitzke, décidément fort engagé dans le beau projet du Mozarteum.

Commençons avec Prostý prostor, page conçue par le musicien tchèque en 2006 « pour violoncelle et instrument harmonique », créée au festival Musica de Strasbourg par Anssi Karttunen qu’accompagnait Magnus Lindberg au piano. Cette partie peut aussi bien être jouée par un piano, un vibraphone ou une harpe, comme c’est le cas aujourd’hui. Elle est dédiée à Magdalena, la fille du compositeur. À la naissance de son fils, il avait écrit des Lieder orchestrés sur des poèmes de Petr Borkovec (né en 1970), mais il fallut une circonstance supplémentaire à sa venue au monde pour qu’il imaginât une pièce pour son deuxième enfant. Lors d’un séjour sur la côte finlandaise, à Porvoo, il vit la cathédrale dont le toit avait brûlé le 29 mai, lors d’un incendie criminel perpétré par adolescents. L’intérieur du sanctuaire fut en majeure partie préservé, ainsi que ses hauts murs. Se souvenant qu’un jour sa fille avait désigné par des onomatopées joueurs la musique de notre temps, lorsqu’il lui avait dit se rendre à un concert contemporain, Srnka voulut rétablir une continuité dans sa musique, « une continuité élaborée pour combiner simplicité et complexité » (brochure de salle). Avec cette soudaine absence de toit l’église ancestrale perdait une partie de son identité, désignée par un geste qui, bien après la reconstruction du toit, resterait irréversible pour ceux qui le commirent. Peut-être peut-on extrapoler que l’ouverture de l’édifice le libérait vers le ciel dans le même temps où elle enfermait les jeunes dans leur acte. Srnka a rêvé Prostý prostor (Espace simple) comme le lieu d’une pensée intacte qu’il souhaite à son enfant.

« Dans ma langue natale, espace et simple (Prostý prostor) ont la même racine étymologique », précise-t-il. La charge violoncellistique de Marcus Pouget va seule son épineux chemin, ponctué à cinq reprises par un accord de harpe, sous les doigts de Katharina Teufel-Lieli, plus tard de deux consécutifs, puis d’encore deux autres indépendants. Les parties instrumentales sont nettement séparées et leur superposition occasionnelle ne signifie pas qu’ils jouent véritablement ensemble, durant cette douzaine de minutes. L’auteur a puisé un motif dans les Vingt regards de l’Enfant Jésus d’Olivier Messiaen (1944). Parfois aux confins du silence, Prostý prostor nécessite une écoute concentrée, plus qu’attentive, que n’observe guère le public de ce soir, malheureusement ; aussi l’approche qu’on en peut avoir s’avère-t-elle perturbée.

Sous la battue de Johannes Kalitzke, qui jeudi soir ouvrait ce festival [lire notre chronique du 30 novembre 2017], nous découvrons maintenant Les adieux, un opus pour ensemble composé en 2004 et révisé en 2007. 2004, c’est l’année du centenaire de la mort d'Antonín Dvořák. Entre 1875 et 1877, alors qu’il est trentenaire, il voit mourir, les uns après les autres, ses trois premiers enfants. En tant que musicologue, Miroslav Srnka a travaillé à l’édition de la version originale avec piano du Stabat Mater que Dvořák écrivit dans ces circonstances douloureuses. « Son combat, qui est presque physiquement perceptible dans le manuscrit, m’a inspiré Les adieux au moment où j’allais moi-même devenir père. Le titre emprunte à la célèbre sonate de Beethoven dont la cadence initiale apparaît à trois reprises dans mon œuvre – une fois par enfant […], trois petits adieux ». Cors, trompette et trombone cisèlent un climat de mystère, bientôt parcouru de lignes saillantes, contrastant avec les gammes du marimba. Dans cet hommage au maître ancien s’imposent la vigueur du geste et un grand sens de la couleur, avec une section rythmique extrêmement drue juste avant le bref surgissement de gelures méditatives.

Le début de la carrière de Dvořák est marqué par la mort. Extrapolera-t-on sur l’omniprésence du sujet dans plusieurs œuvres de Srnka [Douze Lieder d’après des cartes postales de Jurek Becker à son fils Jonathan, My life without me, etc.] ?... Quoiqu’il en soit, ces quatre journées, obéissant à une dramaturgie particulière, sont conclues par le Requiem de Wolfgang Amadeus Mozart, une commande que le fameux enfant du pays ne put mener à son terme avant de s’éteindre en décembre 1791 – le 5 : après demain, donc ! –, vraisemblablement empoisonné par le mercure qu’on administrait alors pour atténuer le travail méthodique du tréponème. À trente-six ans, Elias Grandy, aujourd’hui en poste à Heidelberg où il a d’ailleurs récemment dirigé la première mondiale de Pym, opéra de Kalitzke d’après Edgar Poe, livre une interprétation rapide et intense du Requiem, à la tête du Mozarteumorchester Salzburg et de l’excellent Salzburger Bachchor dont les artistes furent préparés par Alois Glaßner. On retrouve l’onctuosité caressante du soprano Mari Eriksmoen [lire notre chronique du 16 mars 2017], ainsi que le timbre généreux et l’émission évidente du mezzo Michaela Selinger [lire nos chroniques de Benjamin, dernière nuit, Medea et Die Meistersinger von Nürnberg]. La partie grave est magistralement tenue par Matthias Winckhler, baryton-basse munichois dont l’autorité du grain vocal est une caresse impérative. Une seule erreur de distribution, toutefois : un ténor agressif dont l’impédance jamais ne s’accorde aux trois autres solistes, pas plus qu’aux inflexions orchestrales.

Il est inestimable d’ainsi pouvoir explorer en quatre jours la musique d’un jeune compositeur. L’expérience est irremplaçable. Le succès de l’initiative peut en remontrer à certains décideurs qui pensent habiles de maintenir leur programmation dans une tiédeur plurielle… Un grand bravo au Mozarteum, à Maren Hofmeister qui le dirige artistiquement, et chapeau bas, Monsieur Srnka !

BB

approfondir cet aricle avec nos chroniques du festival :

épisode 1 | My life without me

épisode 2 | Douze Lieder

épisode 3 | Engrams et Pouhou Vlnou

épisode 4 | Eighteen agents et No night no land no sky

épisode 5 | What do you miss from home ?