Chroniques

par bertrand bolognesi

dans les sentiers oubliés du Quatuor Aron
pages de Toch, Schönberg, Korngold et Ullmann

Théâtre du Capitole, Toulouse
- 7 octobre 2006
Le compositeur pragois Viktor Ullmann
© dr

En regard des représentations de Die Frau ohne Schatten au Capitole [lire notre chronique de la première], le Quatuor Aron donne un programme qui plonge l’auditeur dans la musique contemporaine des dernières années de Strauss, une musique principalement écrite par ceux que le Reich appelait les dégénérés, des compositeurs qui n’eurent que deux alternatives : s’enfuir ou mourir, comme Viktor Ullmann [photo] interné à Terezinpuis à Auschwitz [lire notre chronique de Der Kaiser von Atlantis à Chambéry]. Son Quatuor Op.46 n°3 ouvre le concert.

Des cinq mouvements enchaînés, le Quatuor Aron offre une interprétation riche en contrastes. Introduisant l’Allegro moderato dans un lyrisme tendre doté d’un équilibre luxueux, résultat d’une qualité d’écoute exemplaire et d’une commune respiration comme d’un vibrato idéalement homogénéisé, les quartettistes articulent fermement le Presto, retenant ensuite un Largo d’une pudeur énigmatique, dans une subtile couleur. Volontiers un peu plus âcre, le Rondo avance son motif obstiné dans une effervescence déroutante.

C’est durant les premières années de son exil américain qu’Arnold Schönberg s’attelle à son Quatuor Op.37 n°4, à Los Angeles. Encore soucieux de s’inscrire dans un rêve impossible d’une histoire de la musique, cette œuvre annonce cependant à plus d’un titre le plus radical Trio Op.45 qui verrait le jour neuf ans plus tard. Nos instrumentistes viennois ménagent à son exécution une sonorité plus musclée, dotée d’une palette de teintes extrêmement variée. Après un premier mouvement plutôt farouche, ils affirment une dynamique scrupuleusement précise dans le Comodo dont ils révèlent peu à peu le dessin complexe, donnent un faux-air de plainte wagnérienne à l’unisson véhément qui ouvre le Largo, bientôt gagné par des entrelacs presque criés, pour achever l’Allegro par des échanges lestes, contrastés, hargneux. On saluera l’intensité de cette interprétation.

En 1945, Erich Wolfgang Korngold signe son Quatuor en ré majeur Op.34 n°3, justement contemporain de l’Opus 45 précédemment cité. Plus d’un mélomane, cependant, le daterait peut-être de 1920, tant son auteur regarde vers le passé. C’est la sinuosité à la fois chatoyante et dramatique de l’opéra Das Wunder Der Heliane qui caractérisera le mieux cette partition décidément plus Jugendstill que les deux autres. On y goûte également un hypnotique et passionnant développement ostinato brillamment exécuté, ses motifs rappelant peut-être au musicien ses premiers pas d’enfant à Brno. Le Quatuor Aron s’essaie ensuite à des clairs-obscurs heureux dans la buée toute nostalgique du dernier mouvement.

Enfin, pour prendre congé d’un public justement enthousiaste, les artistes donnent en bis une brève pièce d’Ernst Toch, préservant ainsi la grande cohérence du menu : Dedication, quelques minutes d’un lyrisme avoué dans une vibration généreuse.

BB