Chroniques

par katy oberlé

Der fliegende Holländer | Le vaisseau fantôme
opéra de Richard Wagner

Opéra national du Rhin, Strasbourg
- 28 janvier 2014
Der fliegende Holländer à l'Opéra national du Rhin, signé Nicolas Brieger
© alain kaiser

C’est un peu comme « après la guerre », selon l’expression bien connue, que survient ce Vaisseau fantôme : d’abord parce que l’année du bicentenaire Wagner s’est achevée sans que le Tannhäuser local fût probant, ensuite littéralement, puisque la mise en scène montre d’emblée la gamine Senta assistant aux brutalités d’une Reichskristallnacht. C’est donc dans l’Allemagne de la reconstruction et du baby boom que Nicolas Brieger situe son action, prenant appui sur le traumatisme vécu par l’enfant dans l’édification d’une sorte de figure christique : pour racheter son peuple d’un passé affreux, autrement dit pour laver les péchés du monde, la jeune femme se sacrifie.

Ce genre d’option peut s’avérer dangereux. Ce soir, Senta tombe amoureuse du Juif errant. Est-ce en mourant pour lui qu’elle se sacrifie ou en tournant le dos à ses parents, à la société allemande dont elle est la fille ? Ce qui pourrait revenir à vouloir dire qu’elle renonce à mieux que le Hollandais. Partant qu’elle est gazée à la fin, ne poussons pas trop loin, le risque est trop lourd pour le metteur en scène qui s’est fendu d’une longue notice pédagogique dans la brochure de salle : est-il convaincu de la crétinerie du public ou a-t-il conscience de sa difficulté à transmettre par son travail scénique ce qu’il lui faut confier au papier ?

Entre l’immersion dans la culpabilité de l’après-guerre et la critique remâchée du consumérisme, Brieger semble réécrire le drame en ayant trop regardé la proposition de Martin Kušej, en ce qui concerne l’invention de l’espace de jeu et du climat sociopolitique (très proches de la production citée en référence : la vidéo de tempête, la cage de portes-fenêtres ghettoïsant les intrus, Erik tirant à la carabine sur ces derniers, etc.), mais aussi dans le propos lui-même – presque autant imbécile chez Kušej, quoiqu’en dise notre confrère [lire notre critique du DVD], mais plus autoritaire encore. Dans cette façon de faire, on retrouve un goût paresseux des assemblages douteux qui frappait sa Salome de Genève [lire notre chronique du 13 février 2009], empruntant à McVicar [lire notre critique du DVD] plusieurs motifs qu’il déplaçait dans une cour… nazie, encore ! Tosca chez Mussolini [lire notre chronique du 20 mars 2013], Tannhäuser à Auschwitz [lire notre chronique du 4 mai 2013], Rienzi à Berchtesgaden [lire notre critique du DVD], qui dit mieux ?! Encore fallait-il quelques détails sordides pour épater la galerie : le tour est joué avec la branlette du Steuermann.

Heureusement, maestro Letonja maintient en partie ce radeau de La Méduse à la surface. Toute la passion du drame wagnérien habite son interprétation qui met avec génie le feu à ses troupes de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, décidément en progrès constant sous sa direction. Inutile de regarder les trombes d’eau de Philipp Haupt, l’ouragan de la fosse en dit beaucoup plus, emportant l’écoute dans le déchaînement climatique comme dans le dessin soigné qui, à juste titre, souligne une écriture héritière de Marschner.

La représentation n’est guère avantagée par un plateau vocal qui fait triste figure. Wagner ne semble pas devoir réussir à la maison… En Steuermann assez clair, le tout jeune Gijs Van der Linden ne démérite pas, de même qu’Eve-Maud Hubeaux donne une Mary correcte. Avec Kristinn Sigmundsson, Daland est ici le grand-père de Senta. Plutôt dur, le timbre de Ricarda Merbeth confond les héroïnes wagnériennes, mais on peut considérer que l’incarnation soutient, de ce fait même, plutôt bien l’option de la mise en scène. Dans le rôle-titre, nous retrouvons le baryton-basse britannique Jason Howard qui, déjà il y a quelques années, ne satisfaisait pas en Wotan à Strasbourg [lire nos chroniques du 14 février 2007 et du 2 mai 2008] : Absence de style et de conviction occasionnent un personnage trop absent. Restent les Chœur de l’Opéra national du Rhin, irréprochables, et le chant gracieux de Thomas Blondelle en Erik, excellent.

KO