Chroniques

par gilles charlassier

Der Freischütz | Le franc-tireur
opéra de Carl Maria von Weber

Opéra Comique, Paris
- 9 avril 2011
La distribution réunie rend un hommage mérité au style français.
© elisabeth carecchio

Dans le cadre de leur partenariat initié depuis deux saisons déjà, le Palazzetto Bru Zane (Centre de musique romantique française) et l’Opéra Comique poursuivent leur exhumation d’ouvrages oubliés de l’époque romantique en France. De prime abord, le cas du Freischütz de Weber ne semble pas relever de cette mission, quoique le singspiel du compositeur allemand soit loin d’appartenir au répertoire courant de nos maisons lyriques, alors qu’il fait partie du patrimoine de celles d’outre-Rhin. Le sel de la présente production vient de ce qu’elle donne à entendre la version française, traduite par Emilie Pacini et réalisée par Berlioz pour l’adapter aux exigences de l’Opéra de Paris, substituant des récitatifs aux dialogues parlés.

D’aucuns pourraient douter de l’opportunité d’une telle démarche, quand aujourd’hui toutes les institutions dispensent des surtitres, autorisant le spectateur à suivre une performance donnée dans une langue qu’il ne maîtrise pas. Ce serait pourtant négliger l’intérêt d’une compréhension immédiate du texte – jusqu’au milieu du siècle passé, les scènes françaises donnaient les opéras en langue vernaculaire. Il ne s’agit pas de s’adonner à une nostalgie stérile, mais de ne pas se contenter d’un fétichisme de l’œuvre dite originale. La lecture de Berlioz, trahissant à maints égards le génie théâtral du singspiel, renseigne non seulement sur les pratiques en vigueur en France à l’âge romantique, mais constitue également une recréation de la partition de Weber qui mérite attention. Les récitatifs ont des accents gluckistes qui donnent à entendre une compréhension renouvelée de l’histoire de l’art lyrique et des influences qui s’y sont exercées au tournant du siècle.

Il n’est guère surprenant que la réalisation musicale ait été confiée à John Eliot Gardiner et à son Orchestre Révolutionnaire et Romantique, jouant sur instruments d’époque, pour, nous dit-on, approcher ce que les oreilles de Berlioz et de ses contemporains entendirent. La reconstitution historique n’a d’intérêt que si elle permet de mettre en valeur des couleurs et des saveurs que l’orchestre post-romantique a tendance à dissoudre. Et il faut bien dire que la performance de ce soir est un véritable jardin des délices. Dans l’ouverture, les cors exposent leur imprécision chasseresse. Gardiner semble être pris d’une fougue rustique, donnant un élan particulièrement théâtral aux tempi. Il n’y a point ici de repos ni de longueurs dans ce sonorama haletant, encore moins de répit pour les cordes, freinant une invitation au rubato que la partition offrirait çà et là. Le discours coupe le souffle de l’assistance, alors qu’il érode certains contrastes. La suite de la partition est passée à un semblable macroscope orchestral. La caractérisation de la scène des Gorges du Loup ne manque pas de puissance, et la maîtrise du chef dans la distribution des dynamiques témoigne non seulement d’un savoir-faire évident mais éclaire également l’intérêt de Berlioz pour une œuvre qui utilise des procédés qui lui seront chers tout au long de sa carrière. La chute brutale à la fin de l’épisode fait penser aux diminuendi expressifs du compositeur français (de la Symphonie fantastique aux Troyens). L’efficacité dramatique est rehaussée par une compréhension aiguë du style. L’inventivité et la vigueur de Gardiner emportent l’enthousiasme du public et les glapissements de certains spectateurs, sourds sans doute à la facture orchestrale parfois brouillonne.

La distribution réunie rend un hommage mérité au style français.
Symptomatiquement, les surtitres s’avèrent généralement redondants, et cela est heureux. Souvent sollicitée par le répertoire baroque pour sa voix claire, Sophie Karthäuser met en valeur la fraîcheur tourmentée d’Agathe. Le fruité du timbre donne une délicate consistance au personnage. La précision et le galbe de l’instrument favorise l’impact scénique d’un matériau à la puissance relative, mais tout à fait adaptée à la jauge de la salle Favart. Virginie Pochon incarne en Annette ce que d’aucuns appellent la soubrette française. Si l’on peut regretter une certaine acidité, la franchise de l’émission et la vivacité de l’interprète donnent une sapidité évidente à la camériste. Sa chanson (avec hautbois concertant) au troisième acte, pour distraire sa maîtresse de ses noirs pressentiments, est admirable de légèreté tout à fait idoine. Andrew Kennedy donne au rôle de Max des atours mozartiens. La ligne et la clarté du timbre sont tout à fait idiomatiques – la parenté avec Tamino n’est pas fortuite. La vigueur ne fait cependant pas défaut au ténor anglais quand la partition l’exige. Âme damnée et méchant de l’histoire, Gaspard sied tout à fait aux baryton-basses de caractère. Gidon Saks accentue la noirceur du mauvais veneur au risque de déséquilibrer une intonation parfois engorgée et de rendre le personnage par trop monolithique – ce qui ne l’empêche pas de recueillir les suffrages de l’auditoire. Samuel Evans campe un Kilian souriant et à la voix bien projetée. Kouno est interprété avec justesse par Matthew Brook. Robert Davies montre une autorité de circonstance en Ottokar, tandis Luc Bertin-Hugault a tout de la basse profonde qui revient à la sagesse divine de l’Ermite. Les répliques de Samiel sont déclamées par Christian Pelissier, démon vieilli – Satan n’est plus tout jeune hélas – qui n’a plus que la rudesse de la voix pour inspirer l’effroi. Les chœurs sont confiés au Monteverdi Choir.

La production commandée à Dan Jemmett se révèle finalement bien sage. Le metteur en scène britannique ne remet pas en cause la morale jugée parfois simpliste de l’histoire. L’artifice consistant à faire commencer la marche des chasseurs au gramophone avant de confier la suite à l’orchestre est presque aussi démodé que le décor de fête foraine dessiné par Dick Bird. La caravane d’Agathe ne choque guère, sa laideur étant modeste, en fin de compte. Avec les troncs qui descendent des cintres et les masques de boucs-garous, la scène des Gorges du Loup s’avère efficace. Les éclairages d’Arnaud Jung témoignent d’un goût prononcé pour l’alternance de diodes électroluminescentes jaunes et rouges – l’innocence et le mal, sans doute, l’incarnat étant la couleur dominante de l’invocation de Samiel. Les costumes de Sylvie Martin-Hyszka n’appellent pas de commentaire particulier, et les quelques mouvements chorégraphiques imaginés par Cécile Bon ne transgressent ni l’argument ni la mémoire.

GC