Chroniques

par françois cavaillès

Der Freischütz | Le franc-tireur
opéra de Carl Maria von Weber

Opéra national du Rhin, Strasbourg
- 17 avril 2019
À Strasbourg, Jossi Wieler et Sergio Morabito signent "Der Freischütz" de Weber
© klara beck

La cité alsacienne regorge d’intelligence créative quand la maison strasbourgeoise offre une nouvelle production de l’opéra fantastique allemand Der Freischütz (1821), le chef-d’œuvre du grand romantique hanséatique Carl Maria von Weber (1786-1826). Aussi assuré que le décompte exact (depuis un jusqu’à sept) des balles magiques fondues par Kaspar le sataniste, aussi bien mûri que le projet de conquête amoureuse du jeune Max, peut-être berné par Kaspar, le travail de mise en scène, dans ce conte gothique proche de l’univers d’Hoffmann, impressionne par le savoir-faire et la justesse.

La proposition de Jossi Wieler et Sergio Morabito est originale et moderne, intéressante et fidèle à l’esprit ambivalent, en qualités et en limites, de ce classique empreint de surnaturel noir. En tenue de camouflage fluo, sous le mauvais œil de drones menaçants, les personnages jeunes, beaux et fantaisistes secouent avec humour et gravité le cadre théâtral d’un village montagnard joliment conceptualisé par les décors et costumes de Nina von Mechow [lire notre chronique d’Il prigioniero], très inspirés d’art contemporain éclatant, aussi bien que la maléfique gorge aux loups dont les étranges visions sont exprimées en vidéos saisissantes, signées Voxi Bärenklau, également très adroit aux lumières. Dans ce savant déballage de créativité, l’audace et l’énergie sont remarquables, toujours en rapport avec le poème originel de Kind, même si le livret est abrégé et les dialogues parfois expédiés d’un ton neutre – sans contredire cependant les intentions des auteurs.

Musicalement aussi, un autre monde est perceptible dès le Molto vivace de l’Ouverture, grâce aux bons soins de l’Orchestre symphonique de Mulhouse guidé par la baguette de Patrick Lange. En ondes merveilleuses se diffuse le grand art de Weber, nerveux jusqu’à l’aventure extra-sensorielle et ultra-lucide lors du culte ténébreux (fin de l’Acte II) et habile à mener une sarabande de monstres (au lever de rideau) ou accueillir en fosse des esprits invisibles – préparé par Alessandro Zuppardo et Christoph Heil, le Chœur de l’Opéra national du Rhin, excellemment relevé et subtil tout au long de la soirée, pour le meilleur du drame.

Dans cet opéra assez court aux atmosphères variables, les chanteurs trouvent toute leur place en dépit de rôles fort stéréotypés. Chez les bons, Lenneke Ruiten brille surtout dans la seconde prière d’Agathe, participant au sublime de la cavatine Und ob die Wolke sie verhülle [lire nos chroniques de Rinaldo, Hamlet, Così fan tutte, Lucia di Lammermoor, Lucio Silla et Das Floß der Medusa]. Son soprano sait se faire extrêmement mélodieux aussi dans le duo mozartien avec la cousine Ännchen, à qui Josefin Feiler apporte toutes les qualités requises [lire notre chronique d’Erdbeben, Träume]. Sous une apparence sauvageonne acidulée, voilà bien une jeune femme gracieuse, polissonne et coquine. De même, en supplément d’intensité, les soprani Dilan Ayata et Nathalie Gaudefroy, demoiselles d’honneur, appuient-elles sur le champignon pour écraser toute indifférence sur leur passage.

Parmi les vilains garçons, le Kaspar bourru et solide de la basse David Steffens illumine le premier acte et s’active sans cesse, telle une force inarrêtable [lire nos chroniques de Gloriana et Die Entführung aus dem Serail]. Le paysan Kilian, par le baryton Jean-Christophe Fillol, est animé d’une belle vaillance tout durant, avec le verbe tranchant qui convient. Le noble baryton-basse du Texan Ashley David Prewett sied tout à fait au prince Ottokar [lire nos chroniques de La Wally, La bohème et Francesca da Rimini] et la basse Frank van Hove (Kuno) distille une sagesse puissante et claire [lire nos chroniques du Vin herbé et de Die Soldaten]. Enfin, héros du jour et potentiel dieu wagnérien, le ténor finlandais Jussi Myllys (Max) chante haut et fort par-delà les aspérités dressées par Weber pour le salut des âmes mélomanes [lire nos chroniques de Salome, Fidelio et A village Romeo and Juliet]. Sur ce chemin Theo Adam nous a quittés, Stanislas de Barbeyrac attend sur la ligne parisienne à l’automne (Théâtre des Champs-Élysées), pourvu que tire encore et encore Der Freischütz !

FC