Chroniques

par laurent bergnach

des orchestres grands et petits…
Iannis Xenakis à l’honneur

Musica / Aula du Palais Universitaire et Auditorium France 3 Alsace, Strasbourg
- 1er octobre et 2 octobre 2010
© marco delogu

« Une musique est un ensemble de transformations énergétiques », note Iannis Xenakis à la veille des années soixante. Conçue autour d’une rencontre réunissant des proches – tels sa fille Mâkhi, ou Michel Tabachnik qui créa de nombreuses pages, durant vingt ans –, cette fin de semaine rend largement hommage au compositeur disparu le 4 février 2001. Ayant rejeté le sérialisme à la grande époque de Darmstadt, méfiant envers les sons synthétiques, le créateur reste controversé, sans doute parce que trop original. En particulier, cet ancien collaborateur de Le Corbusier a fait de la musique le langage de sa philosophie, un alliage entre art et science hérité de l’Antiquité et de la Renaissance. Cela semble d’abord désuet, puis, en creusant, on s’aperçoit que son attrait pour les mouvements, les résonnances et les énergies sonores préfigure bien des réflexions actuelles sur le son comme matière plutôt que comme discours.

Vendredi soir, avant de jouer quatre pièces emblématiques le lendemain – Metastaseis (1953-54), Persephassa, Synaphaï (1969) et Cendrées (1973-74) –, le Brussels Philharmonic – the Orchestra of Flanders nous convie à écouter Terretektorh (1965-66), pièce qui bouleverse la relation orchestre / public en plongeant ce dernier dans « un aquarium de sons proches et lointains »dixit Tabachnik, fier d’arborer le frac réservé aux œuvres du répertoire. Comme s’il se trouvait dans une fosse d’orchestre circulaire avec le chef au centre, chacun s’assoit donc à proximité de plusieurs instrumentistes. Si le hasard l’a placé entre un trombone à sa gauche, un alto à sa droite – comme nous-mêmes –, il pourra entendre l’œuvre différemment après l’entracte, en choisissant l’entourage du basson et d’un violoncelle.

De cette œuvre où certains musiciens s’amusent visiblement avec la petite percussion distribuée à tous – wood-block, maracas, fouet, plus des sifflets-sirènes –, difficile de parler, à l’instar de celles reçues frontalement. Pour notre part – si ce n’était déjà fait –, l’expérience permet de relativiser la notion de critique musicale, puisque la seconde réception nous paraît moins agressive et compacte que la première. Une autre conclusion s’impose : proposé en première partie de soirée, le portrait filmé de Xenakis avait son intérêt – cet ancien résistant comparant les humains à des nuages, sitôt disparus, sitôt remplacés – ; mais pourquoi n’avoir pas profité de ce « sonotron » pour jouer une autre œuvre, voire une création, explorant les possibilités de cette conception cinétique ?

Samedi, l’Ensemble musikFabrik – qui fête cette année deux décennies d’existence – livre trois pièces pour petit orchestre d’une quinzaine de musiciens, représentatives des années quatre-vingt. Dans Jalons (1986), on repère des équilibres internes – stridence du piccolo / grain des cuivres, grave du violoncelle / aigu de la harpe, etc. – qui donnent l’impression d’une énergie centripète. Le violon couine, la clarinette sature, l’alto racle, mais sans le maniérisme ni la valorisation du silence qui caractérisent certains minimalistes du son. La gestique souple mais ferme de James Wood sublime cette œuvre vive sans être tendue.

Le violoncelliste Arne Deforce, à la discographie remarquable [lire notre critique du CD Harvey], rejoint l’ensemble pour Epicycle (1989). Il livre des passages solos qui invitent les cordes à plus de lyrisme que précédemment. Les tutti n’étouffent pas une œuvre certes aérée, mais assez nauséeuse, qui évoque le Stravinsky de l’Histoire du Soldat. Ce programme de moins d’une heure se clôt avec Thalleïn (1984). Les cordes y alternent avec les vents et les cuivres, tandis qu’apparaissent piano et percussion – celle-ci utilisée sans excès, bien que mise en avant au cœur de l’œuvre. La crainte de se répéter, que Xenakis confiait à Feldman en 1986, a porté ses fruits.

LB