Chroniques

par laurent bergnach

deux créations 2e2m que dirige Pierre Roullier
Sebastian Rivas | Brisure spontanée de symétrie

Jean-Luc Hervé | Alternance/Topographie
Festival Extension / CRR, Paris
- 14 mai 2009
concert du festival Extension photographié par Jean-Marie Legros
© jean-marie legros

Prendre le risque de la découverte et du déséquilibre, lâcher les modèles culturels qui servent souvent de béquilles, voilà la proposition lancée au public par David Jisse, directeur de La Muse en Circuit et de son festival Extension – « Extension, comme une belle métaphore de ce qui nous élève, nous étire et nous attire, dans le sourire vertical de la création musicale de notre temps ». Débutée le 28 avril dernier et s’achevant le 30 mai prochain avec des spectacles multimédia, cette neuvième édition s’arrête aujourd’hui sur l’héritage de la musique spectrale, avec trois compositeurs nés après 1960 et deux créations mondiales par l’ensemble 2e2m placé sous la direction de Pierre Roullier.

Elève de Nunes et Grisey, Jean-Luc Hervé (né en 1960) a connu de nombreuses résidences d’artiste, dont celle de Kyoto en 2001, à la Villa Kujoyama. Lors de sa rencontre avec le public en amont du concert, il explique comment le Japon nourrit sa réflexion sur les relations entre extérieur/intérieur, aller/retour ou encore endroit ouvert/endroit clos, en particulier sa découverte d’un certain jardin où tout s’harmonisait avec la montagne se détachant au loin – le créateur travaille d’ailleurs à un projet de grand jardin sonore, associant la Ville de Paris et l’Ircam, et se souvient d’une de ses anciennes pièces, n’ayant été jouée qu’une seule fois, puisque liée à une géographie précise. Dans Alternance/Topographie, le son se déplace comme s’il voulait décrire un lieu, cor et contrebasse, alto et flûte se partageant les galeries de la salle. Plutôt que de spatialisation, Hervé parle de localisation puisque les sons décorent l’espace, mais sans se déplacer. Tout à la fois statique et effervescente, cette pièce met lentement en valeur silences et soli.

Travaillant actuellement sur un opéra à découvrir l’an prochain, le franco-argentin Sebastian Rivas (né en 1975) est engagé dans divers projets de recherche sur les rapports entre geste, mouvement et son par le traitement électronique – mais une électronique qui touche à l’organique puisqu’elle prend le risque de l’erreur humaine. Pour Brisure spontanée de symétrie, qui place le public au centre d’un dialogue bientôt débridé entre deux ensembles (dont un formé de six haut-parleurs), il signale la mise en évidence d’un « comportement instable physico-acoustiquement » et précise : « nourri de l’idée poétique de la rupture et du déchirement qu’un multiphonique implique, j’en ai conçu un rapprochement avec le déchirement et la rupture d’un sujet, comme dans la schizophrénie ». Sculpteur de matière, Rivas livre une pièce âcre et sauvage, tel un magma en fusion dont on ne saurait dire quelle forme il prendra en refroidissant. Moins touffues mais plus inquiètes, les dernières minutes abandonnent les frottements terrestres pour devenir tourbillons venteux.

Élève de Friedrich Goldmann, Gösta Neuwirth et Heinrich Taube, enseignant à son tour à Berlin, Enno Poppe (né en 1969) a reçu de nombreux prix et commandes. Créée aujourd’hui en France, la partition de Salz (2005) est dominée par une synthèse d’orgue Hammond en trente-deuxièmes de tons (soit 192 notes par octave), accompagnant un grand crescendo de près vingt minutes, divisé en cinq sections elles-mêmes subdivisées en cinq autres. « Le résultat est que le chaos survient constamment, explique l’auteur. Par 125 fois, le morceau menace d’y sombrer. C’est son organisation qui l’induit ». Précieuse et décorative, cette dernière pièce au programme peine à intéresser.

LB