Chroniques

par françois cavaillès

Die Meistersinger von Nürnberg
Les maîtres chanteurs de Nuremberg

opéra de Richard Wagner
Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 1er mars 2016
à l'Opéra national de Pairs, les Meistersinger de Salzbourg 2013 à l'affiche !
© vincent pontet | opéra national de paris

Admis non sans mal aux quartiers riches de l'opéra français, Richard Wagner regagne notre capitale dans le vent froid de mars. Le grand retour des Meistersinger von Nürnberg à l'Opéra national de Paris1 appelle une Ouverture subtile, moirée plus que lustrée, par l'orchestre maison et son chef Philippe Jordan (qui, avec cette nouvelle grande réussite wagnérienne, mériteraient tous d'entrer, en vrais connaisseurs ou amis de la cause, au sympathique Cercle National Richard Wagner).

Œuvre monumentale, si particulière parmi les opéras du maître de Bayreuth, cette comédie aussi savante se livre ici dans une production déjà appréciée lors de l’édition 2013 du Salzburger Festspiele. Elle s’avère très allemande, que ce soit pour les costumes d'un XIXe siècle fort élégants mais kitsch, pour l'excellent plateau vocal, tonique et espiègle, à dominante germanique, ou encore les décors d'une grande clarté (« deutlich! », mieux que « typisch ») et aux proportions variables à merveille, par d'ingénieux jeux d'échelles.

Hélas, la mise en scène de Stefan Herheim paraît un peu trop classique et légèrement fade, en dépit de quelques gros effets comiques – comme, pour amorcer l'émeute à la fin de l'Acte II, l'irruption d’une farandole de personnages de contes de fées (âne, grenouille, Blanche-Neige et les sept nains... et le chaos s'ensuit). Le romantisme et le théâtre du destin caractéristiques de Wagner sont évincés avant le milieu du premier acte pour s'attacher, dans un cadre strictement comique, c'est-à-dire en système clos, à une caricature sociale d'autant plus étrange que ponctuée, à chaque lever ou tomber de rideau, de pénibles clins d’œil de la part d'un créateur Sachs-Wagner, vieil illuminé en chemise et bonnet de nuit [lire notre critique du DVD].

Heureusement, reste la performance en or de Gerald Finley, Hans Sachs déjà remarqué dans la production de Glyndebourne [lire notre critique du DVD]. Amfortas à Londres [lire notre chronique du 18 décembre 2013], le baryton canadien, donne son meilleur à travers l'Acte II et, notamment, dans le superbe monologue du sureau. Quant à Bo Skovhus (Sixtus Beckmesser), c'est du vif-argent ! Énergie optimale et voix suprêmement plaisante [lire nos chroniques du 6 juin 2015, du 17 mai et du 21 avril 2014, ainsi que celle sur son incarnation du marqueur à Budapest, le 8 juin 2013]. Le génial cabotin se cabre, luth en avant, comme un hard rocker de sa Scandinavie natale, hissant la parodie à son meilleur, en bel intrus à la Bastille.

En Walther von Stolzing, le ténor étatsunien Brandon Jovanovich mérite le bronze tant son timbre chaud, sa grâce et son élan de jeune héros vigoureux font forte impression [lire nos chroniques du 13 avril 2013 et du 4 mars 2007]. Loin des clichés du vieux père couvant sa fille, le Pogner bien campé de Günther Groissböck apporte une voix et une présence intéressantes, avec un peu de malice et surtout beaucoup de justesse, tandis que le ténor Toby Spence compose un David drôle, plein d'allant et très convaincant [lire notre entretien de la basse autrichienne].

Peut-être en raison de la mise en scène centrée sur l'assemblée masculine, au demeurant impeccable au plan vocal, les rôles féminins paraissent malheureusement un peu faibles, surtout l'Eva du soprano Julia Kleiter qui semble manquer de corps. L'alto Wiebke Lehmkuhl rayonne davantage en Magdalene, dans cet habile jeu d'expression vocale et théâtrale au débit très rapide.

Enfin, en cette période de récompenses de fin d’hiver, le plus grand prix ira volontiers au Chœur de l'Opéra national de Paris pour son chant véritablement magistral, bien souvent avec puissance certes, mais surtout de manière fort vivante, en accord avec la conception de cet opéra comme une « pièce de conversation », selon la formule de Georg Solti.

FC

1 sur l’entrée au répertoire de l’Opéra national de Paris des Maîtres chanteurs de Nuremberg en 1897, dans une version en langue française d’Alfred Ernst, lire notre dossier de février 2012