Chroniques

par bertrand bolognesi

Die sieben letzten Worte unseres Erlösers am Kreuze Hob.XX/4
Sara Wegener, Marie Henriette Reinhold, Robin Tritschler, David Soar

Collegium Vocale Gent, Orchestre des Champs-Élysées, Philippe Herreweghe
Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 16 mars 2016
Die sieben letzten Worte unseres Erlösers am Kreuze d'Haydn par Herreweghe
© m. hendryckx

Le temps pascal arrivant, ce n’est pas à proprement parler une passion que proposent Philippe Herreweghe et ses Collegium Vocale Gent et Orchestre des Champs-Élysées avenue Montaigne, mais une méditation profonde et secrète en forme d’oratorio, Die sieben letzten Worte unseres Erlösers am Kreuze Hob.XX/4, écrit par Joseph Haydn pour la Semaine Sainte gaditane 1787. Si depuis l’on peut régulièrement entendre la géniale adaptation pour quatuor à cordes – un sommet du genre ! –, également disponible pour orchestre à cordes et même pour pianoforte, la version définitive, révisée en 1801 à Londres, demeure rare au concert.

C’est d’emblée sur un chemin austère qu’est engagée l’exécution de ce soir, à travers une Ouverture d’assez étroit impact, à l’ambitus plutôt limité. Avec un mezzo forte mué en mezzo piano, la tendance tend vers les confins du sonore, ce qui, pour concentrer drastiquement l’écoute, fragilise toutefois le jeu. Une gravité ténue est à l’œuvre, dans un introit farouche où entrent les voix plus sereines de la première parole. Vater, vergib ihnen, denn sie wissen nicht, was sie tun : le chœur s’avère remarquablement sculpté, sans effets superfétatoire, mais bien au contraire une saine précision dans l’étroit rapport au texte. L’articulation générale semble vouloir se garder de toute amabilité, par-delà cette sorte de distance justifiée par la grâce, héritière de l’Aufklärung, qu’on perçoit nettement dans l’harmonie.

Fürwahr, ich sag es dir – l’autorité chorale, a cappella, s’affirme plus pleine encore dans l’heureuse évocation du Paradis. On regrette pourtant un soprano soliste qui déséquilibre les ensembles : instable, parfois chevrotant, souvent miaulant, l’artiste ne fait guère honneur à sa partie, et moins encore en forçant en présence lyrique, dans un style lâche qui déconcerte. Après l’introduction de chœur, l’invocation des larmes de la Vierge s’élève grâce au mezzo chaleureux de Marie Henriette Reinhold et à la bénéfique clarté de Robin Tritschler [lire notre chronique du 29 mai 2010]. La ligne supérieure vient malheureusement reposer sur terre ces beaux efforts, secondée par une basse engorgée, indistincte, voire brumeuse – voilà qui ne saurait assister personne « dans le dernier combat »… Mein Gott, warum hast du mich verlassen ? L’âpreté du chœur, sur cette quatrième parole (Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?), s’accommode mal des insuffisances solistiques, mais aussi de violons parfois approximatifs. La bigarrure des niveaux artistiques dessert l’interprétation.

La lumière revient, avec les entrelacs des vents, la précarité des cuivres anciens n’apportant guère qu’un charme désuet à l’introduction de la cinquième parole, exception à la règle des précédentes qu’ouvrait un verset a cappella – bien qu’il s’agisse, au fond, d’une écriture de chœur destinée aux instruments. Peu à peu une tendresse discrète l’habite. On admire l’excellence du jeune ténor irlandais dans son air de la soif, affichant un timbre qui appelle un Évangéliste à venir. Le contraste avec la véhémence de l’orchestre et du chœur se polarise comme le plus dramatique passage de cet opus. Es is Vorbracht scelle un hiératisme tragique – Tout est accompli, chœur dolent s’il en est. Père, je dépose mon esprit entre tes mains (Vater, in deine Hände empfehle ich meinen Geist) : le dernier épisode gagne une fluidité toute simple, par-delà les anicroches d’un quatuor soliste mal proportionné dont on retiendra la courte phrase en duo du mezzo et du ténor. Si le trait élancé de la basse ne fonctionne pas, il faut saluer la prégnance des trois mi bémol graves conclusifs, indiscutablement valeureux. Au Golgotha d’alors trembler – et il tremble, à la manière des plaques de zinc du théâtre baroque, au fil d’un Terremoto relativement bruitiste qui ne convainc pas plus.

BB