Chroniques

par arvid oxenstierna

Donaueschinger Musiktage 2019 – épisode 1
trois créations, signées Pelzel, Shlomowitz et Steen-Andersen

SWR Vokalensemble, Michael Alber – SWR Sinfonieorchester, Emilio Pomárico
Donaueschinger Musiktage / Baar-Sporthalle
- 18 octobre 2018
Emilio Pomárico dirige le SWR Sinfonieorchester au Festival de Donaueschingen
© ralf brunner | swr

Tous les ans depuis 1921 ont lieu, à la mi-octobre, les Donaueschinger Musiktage, célèbre rendez-vous international de la création musicale, interrompu de 1940 et 1947 pour cause de guerre mondiale. Pour l’édition 2019, qui présente une vingtaine de premières (et qui accuse une augmentation du prix des places), je prends le relais de mon collègue français qui a couvert les trois derniers festivals [lire nos chroniques – en 2016, Twist de Franck Bedrossian ; en 2017 : Un calendrier révolu d’Emmanuel Nunes, The news in music de Thomas Meadowcroft, Man sitting at the piano de Francesca Verunelli, TRANSIT de Laurent Chétouane, Têtes de Misato Mochizuki et Ez-tér de Márton Illés ; en 2018 : Come play with me de Marco Stroppa, Synopsis as texture de Florian Hecker, Kammerkonzert d’Agata Zubel, Thinking Things de Georges Aperghis, 21.10.18 de Koka Nikoladze et Dead wind de Jānis Petraškevičs].

Grand soir d’inauguration au Baar-Sporthalle de Donaueschingen, pour une édition dont se perçoit mal une thématique. Né en 1975, Matthew Shlomowitz est un musicien australien dont Glücklich, Glücklich, Freude, Freude ouvre le premier concert. Écrite pour clavier (Mark Knoop) et orchestre, donnée en création mondiale comme les trois opus au programme, cette œuvre est traversée d’une énergie débordante qui explore de vieilles ficelles post-modernes éculées, dans un grand brouhaha répétitif de cuivres pléthoriques tout droit sortis d’un soundtrack néo-wagnérienne. Une marche harmonique la conduit vers des sommets que nous n’avons pas été capables d’entrevoir, que gagne une drôle de soupe rythmique. Un moment de salut, enfin : la jubilation se tait, on entend le ressac, bruit nettement plus mélodieux. Pas pour longtemps : les accords se superposent, auxquels je préfère le dialogue des mouettes. Lorsque des voix d’enfants surgissent de la plage, avec des bidouilles de synthétiseurs d’autrefois, la coupe est pleine. Mais pas pour Shlomowitz qui se fait plaisir avec une longue section de planeur new age, à laquelle succède un retour dans l’effervescence rythmique, puis une fanfare atroce dont l’ironie n’a de drôle que sa propre autosatisfaction. Et comme si cela ne suffisait pas, à quelques accords d’un piano néoromantique est confiée la tâche de finir – en vérité, il n’arrive pas à finir, alors il recourt à un vague souvenir de Satie.

Né en Suisse en 1978, Michael Pelzel est compositeur et organiste (titulaire à l’église réformée de Stäfa). Dans le cadre des concerts Cursus de l’IRCAM, nous l’avions découvert avec …along 101… pour ensemble [lire notre chronique du 23 octobre 2010]. Conçu pour orchestre et électronique (Experimentalstudio des SWR), nous entendons Mysterious Benares Bells, commande du Südwestrundfunk Sinfonieorchester et de la fondation Pro Helvetia. Cette pièce se situe à l’exacte opposé de la précédente. Elle convoque une écoute attentive dans un travail raffiné et inventif qui, à partir de la nature du son de cloche, transporte l’auditeur dans un univers de cloches imaginaires, avec leur impact particulier, à la dimension du grand orchestre qui emprunte des couleurs clairement spectrales. Puis Pelzel développe ce matériau en halo d’échos en mouvement contraire, dans un espace sonore infini, au fil d’un puissant crescendo. La libération du processus se réalise dans un formidable éclatement qui mène à des accords d’apocalypse prolongés dans des glissandos abandonnés. Puis c’est un poudroiement délicat d’ondulations insaisissables, dans une nouvelle partie qui paraît agir à rebours du geste spectaculaire initial. Bien des aspects font penser aux univers de Tristan Murail et de Jonathan Harvey, jusque dans l’apaisant final, comme un éloignement.

Après l’entracte, on est agréablement surpris par la démarche brillante du Trio pour big-bang, chœur, orchestre et vidéo de Simon Steen-Andersen. Le compositeur danois, né en 1974 [lire notre critique du DVD Black Box Music], s’est immergé dans les archives de la Südwestrundfunk où il a visionné des films montrant des chefs prestigieux du passé, en répétition ou en concert, comme Sergiu Celibidache, Carlos Kleiber, etc. De ce matériel précieux il a extrait plusieurs séquences minutieusement choisies et millimétrées qu’il a intégrées dans un vaste collage héroïque, d'une couture très savante, virtuose même, et volontiers humoristique. En héritier de Mauricio Kagel, pour le théâtre et la dérision, ainsi que de Luciano Berio pour la prise sur l’histoire de la musique et de l’orchestre, mise à distance par les voix du SWR Vokalensemble dirigées par Michael Alber, Steen-Andersen impose sa propre manière de happening écrit, aéré par les interventions tournoyantes du SWR Big Band sous la direction de Thorsten Wollmann. Il intègre des applaudissements, divers fractions d’interviews et jusqu’à la raideur des ruptures du montage, dans le son comme dans l’image (un écran surplombe l’orchestre), la difficulté de reprises fragmentaires, avec une maîtrise impressionnante. Et soudain, Händel ! – fugue de rayure de disque vinyle, de bruits de gare et de voix bouchées. L’excellent Emilio Pomárico bataille avec génie dans cette œuvre incroyable !

AO