Chroniques

par laurent bergnach

Ensemble Calliopée
œuvres d’Adámek, Dvořák, Kadeřábek et Páleníček

Centre Tchèque, Paris
- 1er février 2014
programme tchèque par l’Ensemble Calliopée
© david adamcyk

Inaugurant l’Année de la musique tchèque en France avec celui de la veille, le concert du jour est dédié par le maître des lieux à Guy Erismann (1923-2007), musicologue réputé pour ses biographies de compositeurs longtemps boudés par ses confrères germanocentristes – Martinů, Smetana, Dvořák [lire notre critique de l’ouvrage], etc. – et président-fondateur du Mouvement Janáček (1985), créé pour mieux faire connaître la musique tchèque contemporaine. L’Ensemble Calliopée y joue d’ailleurs deux pièces du XXIe siècle, et deux en création française. Parmi ces dernières : Études de concert (1975) pour contrebasse et piano de Josef Páleníček (1914-1991).

Remarqué comme enfant prodige, l’élève de Karel Hoffmeister (pianiste), Otokar Šín et Vítězslav Novák (compositeurs) joue très tôt en concert et fonde le Trio Smetana (futur Trio Tchèque) en 1935. Séjournant à Paris entre 1936 et 1938, il étudie encore avec Cortot, Alexanian, Fournier et Roussel, se lie avec le Groupe des Six, Stravinsky, Jolivet et Martinů dont il resterait un ami proche. Il devient professeur au Conservatoire de Prague en 1939, et défend plus que jamais la musique de Janáček lors d’apparitions qui s’apparentent à des manifestations nationalistes. Bientôt interdit de scène, il passe la fin de la guerre caché avec son épouse juive, jusqu’à la reprise de sa carrière de pianiste virtuose à travers le monde. Centrée sur le concerto et la musique de chambre, sa propre musique est tour à tour d’avant-garde (années trente), néobaroque (années quarante), néoclassique aux intonations moraves, constructiviste (années soixante-dix) pour tendre enfin vers une écriture épurée à l’extrême.

Écrivain, directeur adjoint du Centre Tchèque et petit-fils du compositeur, Jean-Gaspard Páleníček évoque cette vie à grands traits, en prélude à une pièce de Bach ajoutée par Frédéric Lagarde pour introduire le duo précité. Il insiste sur le fait que son grand-père, convaincu avant terme de l’impasse du Printemps de Prague, livrait depuis lors une musique plus sombre et mélancolique. Or, l’œuvre dédiée à la mémoire du contrebassiste František Hertl (Nonette tchèque) semble douloureuse à son terme seulement, la plupart de ses mouvements bien caractérisés et un rien surannés laissant beaucoup de place au lyrisme et à la danse.

Présenté comme un homme « curieux de son » par le contrebassiste qui gagne la scène, Ondřej Adámek (né en 1979) s’ouvre en effet à d’autres culture dès l’adolescence (pratique du didgeridoo, de la darbouka, des tablas, etc.), explore l’électroacoustique à vingt ans et invente des instruments à trente (aspirateur combiné avec une flûte harmonique, etc.). Pourtant, un duo contrebasse-violoncelle l’inspirait peu jusqu’à ce qu’il emprunte à Nôise pour grand orchestre [lire notre chronique du 9 février 2010] la matière de Chamber Nôise I, créé la même année. Ici, outre des bourdonnements, déflagrations et hululements fantomatiques, Diana Ligeti et Yann Dubost doivent délivrer de façon « toute modeste, plate, intime », le visage neutre, une phrase en français suivie d’un texte bouddhiste émaillé de mots chinois et sanscrit, prononcés à la japonaise. Une pièce soucieuse de métissage, donc, comme le fut par la ensuite la création de Kameny [lire notre chronique du 29 janvier 2013].

Retrouvant ce soir le centre où il fut résident en 2005-2006, Jiří Kadeřábek (né en 1978) [photo] a grandi dans une région à forte tradition folklorique. Comme beaucoup de compositeurs de sa génération, il côtoie sans états d’âme jazz, rock et pop dont des éléments peuvent se retrouver dans son propre travail. Dans La riemersione di Venezia (2008) commandé par l’Ensemble Intrasonus, il imagine la ville de Monteverdi plongeant dans la lagune avec toute son histoire pour mieux réapparaitre « nettoyée de cette couche de crasse commerciale qui l’a recouverte ces dernières années ». Des enregistrements de bruits aquatiques servent de base à la bande-son d’abord très présente, dont se détachent peu à peu un duo alto-violoncelle d’influence spectrale, de plus en plus agité. Cependant, la pièce se conclut sur un arrangement paisible et surprenant de l’ultime duetto amoureux de L’incoronazione di Poppea.

Déjà joué hier – Le silence des bois (1891) et Silhouettes (1879) –, Antonín Dvořák (1841-1904) l’est aujourd’hui encore, puisque son Trio en fa mineur Op.65 n°3 (1883) met un terme au concert. Loin de la joie de vivre habituelle de son auteur, quatre mouvements foisonnent de nostalgie, d’amertume et de douleur vindicative entrecoupés d’éclairs tendrement primesautiers ou chastement échevelés. Malheureusement, déjà pénible par son verbe brahmsien, la pièce est jouée par un piano assez dur et un violon parfois aigrelet.

LB