Chroniques

par irma foletti

Ermione | Hermione
azione tragica de Gioachino Rossini

Rossini Opera Festival / Vitrifrigo Arena, Pesaro
- 20 août 2024
Nouvelle production du rare ERMIONE au Rossini Opera Festival de Pesaro...
© amati bacciardi | rof

Ermione est assurément l’un des meilleurs opéras écrits par Rossini pour le Teatro San Carlo (Naples). Créé en 1819, il est, en tout cas, porteur de nombreuses originalités. Stendhal le définissait d’ailleurs comme un essai dans sa Vie de Rossini (1823). À cet égard, on peut rappeler que l’ouvrage ne comporte pas d’Ouverture et démarre par un grand cœur tragique – le public du Rossini Opera Festival (ROF) de Pesaro l’applaudit comme une Ouverture – et qu’à l’autre extrémité, la conclusion est particulièrement abrupte, se terminant sur la fuite d’Oreste qui prend soudainement congé de l’héroïne. Malgré toutes les splendeurs de cet opus, le ROF ne l’a monté que deux fois avant cette nouvelle production : en 1987 avec un cast désormais de légende (Montserrat Caballé, Marilyn Horne, Chris Merritt et Rockwell Blake), puis en 2008 (avec Sonia Ganassi, Marianna Pizzolato, Gregory Kunde et Antonino Siragusa).

Les représentations sont données dans la salle de la Vitrifrigo Arena, grand palais omnisport situé en dehors du centre-ville. Confiée à Johannes Erath, la mise en scène donne beaucoup à voir… parfois trop pour une seule paire d’yeux ! Dès avant le début du spectacle, un ange passe, plus précisément un Cupidon tout de blanc vêtu, parfois ailé, et qui déplace sa grande flèche. Puis ce sont les animations vidéos de Bibi Abel, projetées de face et sur les deux écrans latéraux, qui attirent le regard, consistant, le plus souvent, en images de ciel nuageux ou de bord de mer. Le rideau se lève ensuite sur une table de banquet à la cour passablement décadente de Pirro (Pyrrhus), peuplée de sujets maquillés à l’excès, pour la plupart, travestis et grimaçant outrageusement. Et cette tension visuelle perdure, entre provocation et violence, en particulier envers Astianatte, le fils d’Andromaca, un adulte ce soir et non pas un jeune garçon, qu’on traine sur le sol et fait dévaler dangereusement les marches d’un escalier qui prend toute la largeur du plateau. Le personnage à la flèche est omniprésent, surtout au premier acte où il s’intercale entre Ermione et Pirro pendant le duo. La scénographie d’Heike Scheele génère de beaux tableaux, mais c’est surtout le jeu d’acteur qui maintient constamment l’intensité du drame.

Le ROF a réuni a priori la meilleure distribution vocale du moment, avec en tête d’affiche l’Ermione d’Anastasia Bartoli, qui domine. Dès les récitatifs, la voix affirme une telle ampleur qu’il est difficile de résister à cette sorte de vague vocale qui nous submerge… et quelle présence, quelle méchanceté dans l’accent pour ce rôle de sanguinaire ! Bon sang ne saurait mentir : la fille de Cecilia Gasdia, celle-là même qui interprétait le rôle dans les années 1980, assume l’agilité et les intervalles meurtriers de la partition, mais elle sait aussi alléger l’instrument pour délivrer des sentiments parfois plus confidentiels ou douloureux. Elle en fait en particulier démonstration au cours de sa très longue scène de l’Acte II, Essa corre al trionfo!, impressionnante suite de courtes séquences qui alternent entre fureur et langueur, où la chanteuse ajoute d’ailleurs plusieurs suraigus.

Distribué lors des dernières éditions de la manifestation pour les rôles de baritenore, on retrouve Enea Scala en Pirro. Si le timbre n’opère pas une séduction immédiate et que la voix se resserre sensiblement à mesure qu’elle monte vers l’aigu, le ténor assume ce rôle impossible sans faiblir… ou presque, car l’on sent une légère baisse de régime vers la fin du grand air, Balena in man del figlio. Ses notes graves, chantées avec puissance, impressionnent à vrai dire davantage que le registre haut. L’entrée en scène de Juan Diego Flórez en Oreste contraste avec le volume des deux autres personnages précédemment entendus. L’air Reggia abborrita! sonne un peu timidement au début, puis l’oreille apprécie le style toujours élégant et l’agilité suffisamment en place.

Autre belcantiste virtuose, Victoria Yarovaya fait entendre en Andromaca un timbre agréable et montre un bel abattage pour les passages vocalisés, bien qu’elle soit moins sonore dans la partie grave ; elle transpose plutôt intelligemment certaines notes à l’aigu. En Fenicio, le baryton-basse Michael Mofidian dispose d’un timbre d’une rare noblesse, que l’on entend avec un plaisir renouvelé. Au second acte, il chante un duo avec Pilade, rôle distribué au ténor plutôt léger Antonio Mandrillo, qui projette vaillamment son aigu. Notons le joli ténor à la diction claire de Tianxuefei Sun (Attalo), tandis que Martiniana Antonie (Cleone) et Paola Leguizamón (Cefisa) complètent avantageusement la distribution.

Michele Mariotti dirige l’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI en construisant d’emblée une solide architecture musicale. Ses choix de tempi et de nuances sont bien marqués, comme les premiers grands accords lents qui sonnent avec majesté, contrastant plus tard avec la délicatesse que détaillent les cordes. Le chef accède visiblement à certaines demandes des solistes, en particulier de Flórez qui, sans orchestre, chante à trois reprises de courtes cadences – air d’entrée, premier duo avec Ermione et mesures conclusives de l’ouvrage. On retrouve enfin les choristes du Teatro Ventidio Basso qui paraissent produire leur meilleure prestation dans cet opéra réellement très dramatique.

IF