Chroniques

par jérémie szpirglas

femmes oubliées

Académie-festival des Arcs / Église de Hauteville-Gondon et Centre Bernard Taillefer, Arcs 1800
- 23 juillet 2010
La compositrice finlandaise Kaija Saarihao par Maarit Kytöharju
© maarit kytöharju

Grandes oubliées, négligées, écartées, presque persécutées, de l’histoire de la musique occidentale, les femmes font cette année l’objet d’une attention toute particulière et bien légitime de la part de l’Académie-festival des Arcs qui, durant sa quinzaine, leur donnera la place qu’elles méritent, à l’égal de leur mari (Clara Schumann), frère (Fanny Mendelssohn) et, plus généralement, des hommes avec lesquels elles rivalisent de talent et de créativité. On pourrait d’ailleurs se dire que si Kaija Saariaho, compositeur en résidence, est à l’origine de la thématique, il est bien triste de ne voir consacrer qu’une seule édition du festival à ce sujet qui doit pourtant être plus vaste (combien, par exemple, d’œuvres de femmes ont été publiées sous le nom d’un homme ?).

Avec quatorze œuvres au programme, dont une création, Kaija Saariaho [photo] est au centre de l’attention. Pour l’occasion, l’Académie-festival des Arcs a invité trois de ses plus fidèles interprètes : le soprano Pia Freund, la pianiste Tuija Hakkila et le violoncelliste Anssi Karttunen. Dédicataire et créateur de la partition, ce dernier donne cet après-midi, dans la petite église baroque d’Hauteville-Gondon, Sept Papillons de la compositrice finlandaise francophile. Miniatures chuchotantes, toutes en flottements et battements, ces images suspendues, éphémères et évocatrices, portent fort bien leur nom. Faisant preuve d’une virtuosité discrète ainsi que d’une rare attention pour les timbres, Anssi Karttunen fait planer sur l’église illuminée un parfum d’incertaine et d’insaisissable beauté. Pour conclure ce moment suivra une belle démonstration de musique de chambre par François Payet-Labonne (violon), Frédéric Kirch (alto) et Raphaël Chrétien (violoncelle), dans le magnifique Divertimento en mi bémol majeur K.563 de Mozart.

L’autre femme mise à l’honneur en ce jour est Marguerite Canal (1890-1978). Injustement méconnue, cette compositrice française a pourtant été assez active en France dans le domaine lyrique. Sa Sonate pour violon et piano, qui lance en 1920 les derniers feux de l’école de Franck, témoigne d’une belle maîtrise des formes et des couleurs. La partition est hélas maladroitement défendue par le violoniste Alexis Galpérine qui, malgré la présence et l’intelligence du piano de Jean-Michel Dayez à ses côtés, trébuche d’un bout à l’autre.

Parfaitement dans le ton initié par Canal, la Sonate pour violoncelle et piano de Debussy confirmera encore les qualités exceptionnelles de chambriste des solistes du festival. Au violoncelle plein de tact et de retenue de l’un — qui d’ailleurs fait un usage intelligent du vibrato, ornement plus que caractéristique essentielle de son son —, l’autre répond par un piano où la fierté alterne avec la tendresse. Le duo avance avec fluidité et à propos, prenant le temps de déclamer le lyrisme et de jouer avec les quelques éléments tour à tour jazzy, tziganes, espagnoles ou rhapsodiques que le compositeur laissa traîner. Le vrai charme du duo est une classe qui n’est pas sans évoquer l’élégance et l’érudition d’un Swann et qui va comme un gant à la partition.

Surfant sur cette vague de plaisir, le violoniste et directeur artistique Eric Crambes, le violoncelliste Xavier Gagnepain et la pianiste Hortense Cartier-Bresson donneront, pour conclure, une nouvelle leçon de musique de chambre dans le Trio en si bémol majeur Op.100 n°2 D929 de Schubert. À la complicité amicale qui fait rayonner leur trio, à la délicatesse sans complaisance de leurs phrasés, s’ajoute un fort judicieux choix de tempo. Si l’on s’étonne de la rapidité du fameux mouvement lent ainsi que de celle du Scherzo, puis de l’allure excessivement modéré du final, que l’on connaît sous des dehors tourbillonnants, on comprend finalement la cohérence de ces partis pris lorsque le matériau des mouvements précédents se retrouve immiscé dans le dernier — une telle lecture, attentive à la fois au détail et à l’œuvre dans son ensemble, ne peut être que saluée.

JS